"Blue Ruin" est un vrai film noir : il raconte patiemment le mécanisme fatal d'un engrenage de vengeance qui exterminera une famille entière, prenant sa source dans une sorte "d'idiotie" mutique (le Sud des Etats Unis, vu ici comme une région particulièrement arriérée où seules les armes parlent) et s'accélérant par le jeu combiné du hasard (ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans le programme de vengeance de Dwight) et de la "nécessité" (survivre en marge de la société, sauver sa famille menacée). Un très beau scénario simple, linéaire et "taiseux", qui rappelle d'ailleurs plus le meilleur Manchette pour son implacabilité que Jim Thompson, magnifiquement mis en scène par le jeune Jeremy Saulnier… Car "Blue Ruin" est aussi un film bleu : cette couleur si antithétique avec les codes du thriller est partout à l'écran, depuis la fameuse Pontiac déglinguée qui donne son titre au film, jusqu'à une douce invasion de l'atmosphère toute entière, comme pour relativiser la laideur du monde et des humains. Un vrai geste d'auteur (Saulnier a écrit, financé, réalisé et photographié son film), une belle attention aux objets - pas gratuite pour autant, comme l'indique le dernier plan - et surtout au rythme, parfaitement juste tout au long de la brève heure et demie de "Blue Ruin". On est très près ici du chef d'œuvre, tant on se sent emporté par cette vision hypnotique, mais régulièrement traversée d'éclairs de folie maladroite, d'un monde absurde. Un peu à la manière des Coen, si l'on veut, mais sans une trace d'humour, ce qui est (peut-être) encore mieux. [Critique écrite en 2015]