le 28 nov. 2025
Kind of blindness
La frénésie créatrice qui voit collaborer Emma Stone et Yórgos Lánthimos a généré trois films en trois ans : un délire fantastique, une satire à sketches et ce Bugonia, probablement son film le plus...
Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.
La première chose que je veux dire à propos de "Bugonia" est que je suis enchanté de retrouver Yorgos Lanthimos qui m'avait un peu perdu avec ses deux précédents films. "Pauvres Creatures" m'avait laissé dans un inconfort moral qui ne s'était pas résolu en revoyant le film et "Kinds of Kindness", en dépit de ses idées souffrait de son dispositif formel, à savoir une succession de courts métrages liés par une thématique, mais qui forcément ne pouvaient pas tous être du même niveau. Or curieusement, et pas uniquement parce qu'on retrouve une partie des talents ayant déjà officié sur "Kinds of kindness", "Bugonia" peut être considéré comme un ultime chapitre concluant l'esprit de son prédécesseur.
En l'espace de quelques semaines, ce sont trois films qui se sont emparé de la question des théories du complot. De leur impact sur la société américaine, qui semble traversée en cette période trouble, où la vérité ou le mensonge paraissent si inextricablement liées, par une profonde scission qui affecte aussi bien ses institutions que sa population. Dont la profonde polarisation qu'elle révèle parait avoir, pour un temps, éclipsée raison, réflexion et même l'idée d'unité pourtant jusqu'ici primordiale. Les USA ont perdu de leur superbe, leur hégémonie culturelle, militaire et économique est de plus en plus questionnée, critiquée et remise en cause.
Cela entraine tout un narratif du repli sur soi, les valeurs traditionnalistes, et l'inévitable mise en accusation de boucs émissaires, un terreau fertile à la propagation des idées les plus obscures, les plus réactionnaires et les plus intolérantes.
Les Etats-Unis sont en proie à une crise qui va au delà de la simple crise systémique, mais en devient une crise d'identité profonde qui n'est pas sans rappeler celle qui fut aux prémices de la guerre de sécession. Par effet domino cette crise devient la crise de l'occident et le cinéma, art toujours prompt à s'emparer des humeurs du temps, ne pouvait pas ignorer cela.
Ari Aster fut le premier à ouvrir les hostilités avec "Eddington" dans lequel, non sans une certaine maladresse, mais je crois sincérité, il désignait l'appareil politique comme responsable du chaos ambiant.
"Une bataille apres l'autre" de Paul Thomas Anderson, dans une approche se voulant plus divertissante, mais finalement bien plus aiguisée et acerbe, pointait du doigt les failles inhérentes à l'action militante pétrie de bonnes intentions mais gangrenée par la tare de la "pureté militante", les divisions internes, quand en face, organisation et objectifs bien définis finissent par garantir le succès.
Enfin, dans ce triptyque thématique, Yorgos Lanthimos, qui en plus en tant qu'européen apporte un regard plus distancié, vient apporter sa contribution à ce constat amer en retrouvant l'une de ses caractéristiques qui moi me parle le plus, sa misanthropie.
J'ai eu l'occasion à diverses reprises où je parlais de son cinéma, qui m'a toujours passionné à défaut de toujours me séduire ou me convaincre, de souligner pourquoi je voyais le cinéaste grecque, comme viscéralement et profondément misanthrope.
Et comme je crois qu'à la différence d'une pensée "phobique" qui ne s'adresserait qu'à une fraction de l'humanité, l'homophobe qui n'aime pas les gays, le xénophobe qui n'aime pas les étrangers, la misanthropie devient finalement la forme la plus pure et la plus aboutie d'humanisme.
En effet, en englobant l'humain dans un seul creuset où sont forgés les vicissitudes de l'espèce, elle laisse de façon contre intuitive et apriori paradoxale toute latitude à chaque individu de s'améliorer tout en se reconnaissant dans chacun des autres membres humains.
Chez Lanthimos, personne n'a raison ou tort, personne ne sort grandit de sa confrontation au scalpel avec sa mise en accusation, et par personne, cela inclut le spectateur. En effet si d'un œil distrait on pourrait déceler dans "Bugonia" une forme de manichéisme, de radicalité claire et nette entre les protagonistes, attention au piège tendu qui pourrait nous révéler bien plus sur nous qu'on ne voudrait.
Il serait en effet facile de prendre les deux cousins pour des demeurés, de se gausser d'eux, de leur façon d'appréhender le monde, mais ce serait oublier qu'ils sont les fruits d'un système généralisé qui s'est embourbé depuis longtemps. Un système qui a négligé le volet éducatif, qui a oublié les besoins en soins, dont ceux sensés les défendre aux plus hauts sommets de l'état n'ont eu pour une partie immense de la population que mépris de classe. Et du coup, ne pas voir dans leur croisade désespérée motivée par rien d'autre que la perte de foi en des jours plus enchantés, qu'ils pensent agir pour le bien commun.
Il serait en effet facile de prendre cette dirigeante flamboyante et à la réussite flagrante pour une femme de classe, qui a du style, moderne, ambitieuse, dominante, qui s'est faite à la force du poignet, qu'elle ne doit son succès qu'à un savant mélange de talent et d'audace, mais ce serait oublier qu'elle est aussi le fruit du même système. Un système qui a porté aux sommets les esprits les plus égocentriques, ceux près à tout pour le gain, les esprits les plus disposés à faire coïncider leurs discours à l'humeur du moment tout en agissant de façon opposé. Des cercles sociaux qui ne négligent pas la violence psychique ou physique pour assouvir leur desseins, qui savent manier le verbe et convaincre. Le portrait d'une techno fasciste - caractère commun d'ailleurs aux trois films - nouveau symbole de "l'empire".
Comme toujours avec ce réalisateur, ses comédiens prennent manifestement un plaisir immense à le suivre dans son délire et du coup le plaisir est contagieux pour nous. Jesse Plemons est impressionnant, quant à sa plus proche complice Emma Stone, il n'y a bien que dans les films de Yorgos Lanthimos que je la trouve bien.
Niveau mise en scène, sa grammaire est parfaitement maîtrisée et sa direction artistique reconnaissable et identifiable me pousse à peut-être lui suggérer pour l'avenir de la modifier au risque de tomber dans la facilité de la redite rassurante et de souffrir alors du syndrome Wes Anderson.
Il y a cependant un point technique sur lequel j'aurais besoin de précisions de la part de personnes ayant vu le film en salle. Pour ma séance, le film a été diffusé en format carré, or je sentais à pleins d'endroits que l'image, l'ambition visuelle même en était contrariée, ce qui m'a interrogé sur le choix de ce format, généralement utilisé pour l'intimité ou l'idée d'enfermement des personnages. Même si là on est dans une forme de huis clos psychologique, la teneur du film, son déroulé, son narratif, ses évolutions de personnages me paraissent plutôt aller dans le sens d'une ouverture. En me renseignant après sur le film, j'ai aussi appris qu'il avait été filmé en "Vista Vision" ce qui avec le choix des grands angles caractéristiques du cinéma de Lanthimos rend le choix du format carré encore plus étonnant. Du coup est-ce que j'ai raté quelque chose ou est ce ma salle qui a eu un souci technique ?
Je conclus en soulignant l'aspect ultra divertissant du film, qui manie tout aussi bien l'humour noir, que la violence cynique et roborative, et pour définitivement asseoir mon opinion sur la misanthropie du bonhomme derrière ce projet, le final en diaporama constituera la preuve maîtresse.
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il y a 2 jours
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