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Bugonia
6.9
Bugonia

Film de Yórgos Lánthimos (2025)

Notes sur le film : Yorgos Lanthimos est le cinéaste du duel distancié. Dans la plupart des films que nous avons vus du cinéaste, deux subjectivités distinctes s’opposent, avec l’une incarnant la normativité, quand l’autre est soumise à une forme de croyance délirante ou mystique. Suivant les films, la seconde tente, volontairement ou non, de contaminer la première, et parfois y parvient – La Mise à mort du cerf sacré (2017) est l’exemple type, mais Canine (2009) ou The Lobster (2015) intègrent aussi ce schéma, ainsi que Pauvres Créatures (2023), où un être vierge est contaminé par l’altérité que représente le monde, chaotique et vicié.

Pour Yorgos Lanthimos, l’Humanité n’est que violence et jeu de pouvoir, et le Grec s’en fait l’observateur très distant. La froideur de ses films, véhiculée par la mise en scène qui ne laisse aucune place à l’émotion, les placent comme pur objet intellectuel, et Bugonia, sa dernière œuvre en date, n’échappe pas à ce schéma. Sauf que, ici, le cinéaste franchit la digue et se place du point de vue de l’altérité. Dans les précédents films de Yorgos Lanthimos, la subjectivité délirante ou mystique avait voie au chapitre, mais le cinéaste ne la laissait pas tout envahir et l’observait sans l’épouser.

Dans Bugonia, on plonge dans la subjectivité de deux complotistes, et même quand le récit les a évacués. Sans en être dupe, certes, car le cinéaste méprise assez clairement les personnages – eux comme le personnage d’Emma Stone, d’ailleurs -, et il n’y a absolument aucun moyen de se faire convaincre par le discours. Mais, avec cette idée narrative, qui n’est pas payante au sein du film – regardez au premier degré des bêtas agirent bêtement est douloureux -, le cinéaste affiche clairement sa misanthropie, qui n’avait pas échappé à beaucoup de monde auparavant. En la soulignant et en allant plus loin dans la bêtise, au point qu’elle contamine tout, le cinéaste justifie son propos, à savoir que sauver une Terre habitée par l’Homme (sous entendu « aussi con ») n’est pas une option.

La misanthropie d’un film ne le rend pas inintéressant ou raté, pas plus si Bugonia était d’une foi béate en l’humanité. Ce qui fait que Bugonia l’est (raté), c’est son manque de nuance dans son constat – la toute fin est en ce sens exemplaire -, tout en assommant l’audience avec la lourdeur de sa démonstation.

Ruben Ostlund, qui surfe sur le même registre, a lui l’élégance de réduire son propos misanthrope à un microcosme – la scène finale de Bugonia ne pourrait exister chez le Suédois -, et son travail se laisse infiltrer par des questions sociales – exemplairement Sans filtre (2022), mais aussi The Square (2017) -, et surtout par l’humour. Au cinéma, on pointe souvent du doigt les films hollywoodiens trop mielleux, c’est-à-dire exagérément optimiste, parce que l’optimiste présenté est trop grossier pour être crédible. Pour Bugonia, c’est l’exact inverse, mais ce n’est pas plus intéressant du point de vue du discours.

PepeLucho
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il y a 3 jours

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