Les attentes autour de Revenge et Burn Out étaient à hauteur des craintes. Parce que leur toile de fond dépeint des sujets de société très actuels (le harcèlement sexuel pour le premier, le syndrome éponyme pour le second), Coralie Fargeat et Yann Gozlan ne cachent pas leurs intentions d’injecter du sens au film de genre. Intention doublement casse-gueule si l’on en juge par la fragilité du cinéma français dès qu’il s’agit de s’approprier les codes du cinéma d’horreur et du thriller d’une part (déserté pour le premier, monopolisé par l’esprit Olivier Marchal pour le second), ou de traiter de l’actualité sans sombrer dans la caricature d’autre part (on pense au récent La loi du marché).

Si un frêle espoir a pu naître à l’orée des années 2000 avec Bustillo & Maury, et surtout Alexandre Aja, le soubresaut de l’horreur Français a fait long feu. Et comme un symbole, les réalisateurs précités se sont désormais exilés outre-Atlantique. Avec un casting cosmopolite qui dit bien sa volonté de s’exporter, Coralie Fargeat tente sa chance avec Revenge, qui, volontairement ou pas (on ne connaît pas les dates d’écriture de scénario ni de tournage), tombe à pic en plein tourbillon médiatique Me Too. Cet énième rape and revenge avait a priori tout pour plaire : c’était l’occasion pour la réalisatrice d’imposer un changement de regard sur un genre très codifié, de s’emparer des rennes d’un cinéma habituellement dévolu à la gente masculine et mis en scène par elle. C’était aussi l’opportunité d’un formidable exutoire, où Jennifer, la héroïne, irait enfin au-delà du modèle d’une scream queen vulnérable et assurerait la revanche par procuration, de tous ceux, hommes ou femmes d’ailleurs, qui méprisent le mâle dominant et arrogant.

Malheureusement, les premières bornes auxquelles Revenge se heurte, ce sont des limites scénaristiques (la réplique lourdement explicative sur le Peyotl, très programmatique, une course poursuite très prévisible). Mais Revenge remplit même péniblement son cahier des charges gore ; un gore d’ailleurs plus proche d’un grand-guignol eighties que d’un réalisme cradoque qui aurait sans doute mieux convenu à sa thématique très actuelle et donc réaliste. Bref, beaucoup de sang et peu de malaise. La faiblesse de la forme engloutit ici le fond, si bien que le propos prétendument féministe, au-delà d’une troublante scène de harcèlement très bien dialoguée, tourne court. La scène de viol, censée être matricielle, est expédiée hors champ, et avec elle les intentions du film, dont il ne reste au final qu’un maigre divertissement sans rythme ni chien. Revenge est donc surtout une bonne occasion de se revoir L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara, beaucoup plus sale et irrévérencieux, et plastiquement toujours impressionnant.

Comme on l’a dit plus haut, le thriller fait aussi partie, avec le cinéma fantastique/horreur, de ces genres sacrifiés par une production française obsédée par la (mauvaise) comédie. Mises à part quelques tentatives isolées réussies ces vingt dernières années, qui tiennent cependant plutôt du cinéma d’auteur (les films du tandem Dominik Moll/Gilles Marchand, Diamant Noir de Arthur Harari, 13 Tzameti de Gela Babluani, Feux Rouges de Cédric Kahn), c’est le désert depuis le début des années 2000. Plus modeste dans sa forme que les films précités, Burn Out a toutefois le mérite de croire en lui (ses acteurs, son sujet, son rythme) sans pour autant se la jouer. Il y a par moments un style Carpenter (façon Assaut) chez Yann Gozlan, dans sa façon de fantasmer une banlieue dévorée par la came, la violence et le communautarisme, et de ne pas mettre de visage sur les assaillants (l’incroyable course poursuite d’encapuchés dans un quartier embrasé par des émeutes). Gozlan est à des années lumières des films de banlieue optimistes qui ont le vent en poupe ces dernières années ; il marche plutôt sur les plates bandes d’un Audiard version Dheepan, la morgue auteuriste en moins, le sens du tempo et la sympathie pour le cinéma bis en plus.

On pourrait en vouloir à Gozlan de renforcer cette image que nous vend BFM, celle d’une banlieue incurable, zone de non-droit désertée par la police. Mais contrairement à Audiard, Gozlan assume totalement son statut d’entertainer : bien sûr, tout ça c’est pour rire, et il nous demande simplement de croire l’espace d’une heure et demie à son héros blanc comme neige se transformer en criminel, à ces gitans sans foi ni loi, et réellement flippants (grand Olivier Rabourdin, à la nonchalance toute vénéneuse), pour mieux trembler avec lui. Le preux chevalier prêt à tout pour défendre une belle très effacée n’est pas réellement dans l’air du temps non plus, et c’est plutôt amusant de retrouver ces codes cinématographiques d’un autre âge adaptés à une époque qui cherche précisément à redéfinir les rôles homme-femme.

L’une des autres bonnes idées de Burn Out est cet habile enchevêtrement de tableaux, personnel, professionnel et criminel, qui provoque un mécanisme implacable du temps et de la fatigue. Mine de rien, Burn Out décrit en ce sens à merveille ce phénomène aujourd’hui labellisé burn-out, le surmenage professionnel. Le film semble tourné sous chronomètre en permanence, et s’il frôle parfois le surrégime en terme de mise en scène, il réussit surtout le pari un peu fou de transposer le stress de Tony sur le spectateur, jusqu’à nous crisper totalement. Preuve que Yann Gozlan a su trouver en son personnage de Tony un parfait Tintin, soit un excellent caractère neutre dans lequel chacun peut se reconnaître.

Très sincèrement, on aurait préféré, de prime abord, défendre Revenge plutôt que Burn Out, pour ce que le film pouvait véhiculer comme énergie mauvaise en forme de délivrance, comme accompagnement parfait d’un mouvement féministe en pleine extension. Mais il manque à Revenge la virulence, l’irrévérence, bref l’esprit punk. Et dans ces deux cas précis, c’est finalement dans les vieux pots qu’on fait encore les meilleures confitures : c’est donc plutôt du côté du polar noir old school de Yann Gozlan qu’on se tournera pour chercher la petite flamme qui pourrait faire renaître de façon durable le cinéma de genre français.

Francois-Corda
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le 5 janv. 2019

Modifiée

le 6 juin 2024

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François Lam

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