Chez Hong Sang-soo, on entre par le corps des acteurs. Pas de carton, pas de plan de situation : juste un corps assis. Une enseignante accueille son oncle, acteur venu remplacer un professeur renvoyé pour abus. La trame est livrée d'emblée, au détour du dialogue. Le spectateur croit savoir où il est. C'est un leurre. Car la fausse simplicité des mots se heurte à un dispositif qui ne livre aucune clé.
La caméra fixe cadre les corps de trois-quarts, maladroits, étrangers à eux-mêmes. Le texte est maîtrisé, mais les corps, eux, ne savent pas où se situer. Ce dispositif est mis en tension par le récit : le corps de l’oncle, plus âgé, impose une stature qui rend l’inconfort des autres palpable. L'admiration empressée d'une jeune professeure ne fait que trahir la fragilité de l’instant. Le malaise ne naît pas du dialogue fluide, mais de ce que les corps ne peuvent cacher.
Refusant le gros plan, le réalisateur coréen rend leur espace aux acteurs. Cadeau piégé : cette liberté devient l’espace même de la gêne sociale. Contraint à la patience des longs plans, l’œil du spectateur devient actif, se focalisant sur les détails : l'alcool versé, les mains crispées, les courbures embarrassées, les regards fuyants. HSS met l'acteur dans une situation où le spectateur est pris dans un rapport étrange à ce malaise : plaisir de voyeur, cruauté, ou reconnaissance de notre propre fragilité ?
Jamais magnifiés, les personnages sont là, pathétiques au sens premier du pathos : ce qui est éprouvé. Car le malaise, comme l'alcool, n'est pas joué, il est traversé. Le plan fixe qui dure, le texte appris qui doit sonner juste malgré la chaleur des nouilles et les verres de soju, la proximité forcée avec l'autre... tout cela met à mal la notion même de performance. Il ne s'agit plus de jouer un personnage, mais d'être un corps qui tente de tenir dans une situation. Et ce que la caméra de Hong Sang-soo filme, c'est précisément cet effort : des êtres sur le point de craquer, mais qui tiennent. Encore un instant.