Je lisais Les Détectives sauvages quand j'ai appris que Linklater faisait un film sur la Nouvelle Vague. Mauvaise pioche. Chez Bolaño, les réal-viscéralistes débarquent comme une bande, ils marchent dans Mexico la nuit, ils règlent leurs comptes, ils baisent, ils ont faim. Ils existent matériellement avant d'exister comme poètes. J'attendais la même chose : des corps qui déambulent, qui s'embrouillent, qui inventent un cinéma parce qu'ils n'ont pas le choix. La fièvre collective avant le panthéon.
Ce n'est pas ce que Linklater a filmé. Il a filmé un monument. Celui de Jean-Luc Godard.
Dès les premières images, tout est déjà mort. Format 4:3, noir et blanc granuleux, cigarettes qui fument dans des cafés en bois sombre. On reconnaît les signes – « ah oui, les années 60 » – mais rien ne vit. Linklater a appliqué des filtres sur son image pour qu'elle ressemble à l'idée qu'on se fait de l'époque, pas à l'époque elle-même. Le réel ne circule jamais dans ces plans trop bien composés. Tout est sous verre, catalogue d'accessoires conformes. Fétichisme de musée.
Et ce traitement contamine Godard lui-même. Jamais il n'apparaît comme un type qui vient de quelque part. De quelle bourgeoisie ? Avec quel argent vivaient-ils, ces jeunes cinéastes qui prétendaient tout casser ? Critiques aux Cahiers, héritages familiaux, système D ? Rien. Godard n'a pas de corps social. Pas d'appartement, pas de loyer, pas de classe. Il flotte. Pur esprit. « Le Cinéaste ».
Du coup, le film bascule en cours magistral. Privé de toute épaisseur matérielle, ce Godard de fiction devient pédagogue pour apprentis cinéastes. Il explique sa méthode, prodigue des conseils, distribue des directives. On n'est plus dans la fiction, on est dans le tuto. Et cette logique didactique gangrène tout : quand un membre de la bande apparaît à l'écran, un sous-titre plaque son nom sur son visage. Truffaut. Chabrol. Rivette. Plutôt que de les laisser exister comme présences, Linklater les assigne. Chaque corps devient une notice. Le nom fait autorité.
Pendant deux heures, tout crie au spectateur : « Regardez, il marche et parle comme Godard, c'est donc bien lui ! » L'illusionnisme est total. En oubliant le collectif au profit du monument, en préférant la reconstitution propre à la prise de risque, Linklater fabrique un objet sage. Un film qui parle de révolution cinématographique avec la grammaire d'un téléfilm patrimonial.
À un moment, je me suis dit : Godard aurait détesté ça. Puis j'ai pensé que non, peut-être pas. Peut-être qu'il aurait trouvé ça drôle, cette momification académique de sa propre jeunesse. Ou peut-être qu'il n'aurait rien dit. De toute façon, ce Godard-là ne parle plus. Il est déjà au musée, vitrine bien éclairée, petite plaque explicative en dessous.