Cafe Flesh
6.2
Cafe Flesh

Film de Stephen Sayadian (1982)

Dans un futur désolé, ceux que l'on nomme Négatifs sont incapables de rapports sexuels. Pour combler leur frustration, ils se rendent au Cafe Flesh, où des Positifs se donnent en spectacle sur scène, déguisements à l'appui...


Drôle de film que Cafe Flesh. Incapable de s'en tenir au b.a. ba du porno, il nous prend constamment à parti pour nous chuchoter quelques paroles glaciales, puis enchaîner sur un numéro dément. De la couleur, il y en a foison dans le film de Sayadian, en tous cas beaucoup plus au Cafe qu'à l'extérieur - sorte de grand vide industriel écrasé de bleu, de noir et de cendres, plaqué sur la toile quand le showman du Cafe y va de sa litanie sur le désespoir ambiant. L'effet est simple mais saisissant car mis en scène, et intelligemment placé au sein d'un montage qui exhale les sensations de corps comblés et souligne celles, brisées, des impuissants, incapables de contact physique sans avoir la nausée.


Une ambiance obtenue grâce à un travail tout particulier du réalisateur avec ses comédiens, a fortiori pour un film X : «L'objectif était d'amener les acteurs à se sentir isolés et indifférents alors même qu'ils étaient en train de faire l'amour. Seulement, il arrivait régulièrement qu'ils soient réellement excités. (...) Pendant le tournage, si, à un quelconque moment, je voyais quelqu'un -homme comme femme- d'excité, je hurlais : "Coupez !", et je lui demandais d'arrêter de prendre du plaisir. C'était vraiment perturbant, pour un casting chevronné de vétérans du porno.» (1) Méthode payante, Cafe Flesh illustrant de bout en bout l'injustice génétique à l'oeuvre, où la sexualité se définit par une véritable hiérarchie sociale, comme une forme concrète, banalisée, de la course à la performance (physique, sexuelle, plastique...).


Cruel mais essentiel à la réussite de Cafe Flesh, ce contraste inspire d'authentiques morceaux de bravoure sur scène, entre un type déguisé en rat qui passe sa langue entre les cuisses d'un donzelle et les performances d'un homme crayon tout droit sort d'un rêve de Satoshi Kon. Concis - 1h10 à peine-, Cafe Flesh aurait, chose rare pour un porno, gagné à durer 20 bonnes minutes de plus afin de laisser s'épanouir son univers, sa folie et son mal-être. Cela dit, peu importe, le film atteignant sans doute son sommet lors d'un travelling au ralenti où, fendant la foule, une Négative s'accroche à ses désirs enfouis sous les yeux d'un proche plus seul que jamais.


Du porno intello ? Que nenni, juste un petit film qui a compris qu'avec une direction artistique solide et un propos qui en a, on pouvait aller loin. Dont acte : un X dont le moteur est la frustration, c'est assez unique pour être apprécié.


(1) In Distorsion X, interview de Stephen Sayadian par Aude Boutillon, décembre 2014.

Créée

le 8 mars 2015

Critique lue 1.6K fois

14 j'aime

5 commentaires

Fritz_the_Cat

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

14
5

D'autres avis sur Cafe Flesh

Cafe Flesh
Fatpooper
6

Le petit théâtre de la fornication

Un projet plutôt intéressant. Mais je pense que la bande dessinée aurait été un meilleur médium pour dépeindre cet univers. J'imagine bien Serpieri au dessin. Peut-être Jodo à l'écriture aussi. Le...

le 25 févr. 2015

6 j'aime

Cafe Flesh
Westmat
6

Jouissance scénique

Étrange expérience que ce Café. Une fois la porte blindée refermée, ses bras nous tirent vers l’abysse pour laisser libre court à notre expectation. Il paraît que c’est « normal » pour de la...

le 4 août 2016

2 j'aime

9

Cafe Flesh
estonius
6

Bonne soirée mutants et muets, et bienvenue au Café Flesh !

Il faut être un peu gonflé, ou un peu hypocrite pour faire un film sur la frustration sexuelle en faisant du porno. Et puis c'est tellement tendance de faire "expérimental", en plus ça ouvre des...

le 24 sept. 2020

1 j'aime

Du même critique

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Fritz_the_Cat
9

La Prochaine fois je viserai le coeur

Ca tient à si peu de choses, en fait. Un drap qui se soulève, le bruit de pieds nus qui claquent sur le sol, une mèche de cheveux égarée sur une serviette, un haut de pyjama qui traîne, un texto...

le 4 sept. 2022

222 j'aime

34

Lucy
Fritz_the_Cat
3

Le cinéma de Durendal, Besson, la vie

Critique tapée à chaud, j'ai pas forcément l'habitude, pardonnez le bazar. Mais à film vite fait, réponse expédiée. Personne n'est dupe, le marketing peut faire et défaire un film. Vaste fumisterie,...

le 9 août 2014

220 j'aime

97

Le Loup de Wall Street
Fritz_the_Cat
9

Freaks

Rendre attachants les êtres détestables, faire de gangsters ultra-violents des figures tragiques qui questionnent l'humain, cela a toujours été le credo de Martin Scorsese. Loin des rues de New-York,...

le 25 déc. 2013

217 j'aime

14