USA,années 70.La mafia italo-américaine,associée au puissant Syndicat des Camionneurs,rachète le Tangiers,un casino de Las Vegas,en utilisant pour prête nom Green,un escroc de l'immobilier.Afin de diriger le lieu,les parrains désignent un de leurs hommes,Ace Rothstein,un bookmaker surdoué,à qui ils adjoignent son pote d'enfance Nicky Santoro,un taré hyperviolent,afin d'assurer la sécurité et d'exécuter les basses besognes.Au début,l'attelage formé par le froid et rusé Ace et son ami cinglé fonctionne à merveille.Un max d'argent est détourné pour échapper au fisc,les chefs du gang s'en mettent plein les fouilles,les gogos affluent et se font joyeusement plumer,tout roule.Sauf qu'au fil du temps ça va se gâter.Nicky est de plus en plus incontrôlable,déjà pas net à la base,tout ce fric qui coule à flot l'enivre et lui donne envie d'augmenter sa part.Quant à Ace,il rencontre la belle Ginger,qu'il épouse.Mauvaise idée car il s'agit d'une pute camée et alcoolo encore sous l'emprise de son ancien mac Lester.Comme en plus Rothstein,trop psychorigide,parvient à se mettre à dos le shérif local et qu'un intermédiaire mafieux complètement con se montre trop bavard alors qu'il est sous surveillance policière,le conte de fée criminel va virer à l'aigre.Martin Scorsese est considéré comme le spécialiste du film de gangsters,ce qui est relativement trompeur car au final il n'en a fait que cinq,du moins pour l'instant.Cette réputation est sans doute due au fait qu'il a réalisé en quatre ans deux des oeuvres majeures du genre,"Les affranchis" en 91 et "Casino".Deux films d'ailleurs très ressemblants dont la fabrication fait intervenir certains techniciens et acteurs identiques.D'emblée,on note qu'il s'agit de deux adaptations de livres de Nicholas Pileggi tirés d'histoires vraies,scénarisées par l'auteur lui-même et par Scorsese.L'équipe technique est une vraie dream team,comprenant notamment Thelma Schoonmaker,la monteuse attitrée du cinéaste,le chef-op Robert Richardson,qui éclairait là le premier de ses sept Scorsese,ou le directeur artistique Dante Ferretti,rien que des pointures.En outre la musique est composée de tubes insubmersibles comme "What a difference a day makes" d'Esther Phillips ou "The house of the rising sun" par les Animals.La narration est très riche car il est question du fonctionnement de la mafia,de la fascination humaine pour le pognon,des magouilles politico-administratives,de la criminalité débridée,des aléas de l'amour et de l'amitié,et aussi de Vegas,ville légendaire du mythe américain.Ce patelin,curieusement fondé par les mormons au 19ème siècle,s'est développé lors de la première moitié du 20ème grâce à ses lois légalisant les jeux d'argent.C'est dans les années 40 que ça décollera vraiment,quand la mafia juive,principalement représentée par Bugsy Siegel,investira massivement dans les casinos,notamment le célèbre Flamingo.C'est ainsi qu'un bled paumé au milieu du désert du Nevada se transformera en capitale mondiale du jeu,attirant les pigeons de tout le pays et aussi de l'étranger.Nous plongeons donc,via une quantité de dialogues en voix off débités tantôt par Ace tantôt par Nicky,dans les arcanes pas propres de la pègre italo-ricaine,avec ses pontes improbables,une assemblée de vieillards cacochymes d'apparence inoffensive qui tirent les ficelles depuis le Midwest,veillant jalousement sur leurs intérêts et satisfaits tant que rentrent les bénéfices.Ce qui frappe dans le film est son cynisme décomplexé,pas trace ici de romantisme du voyou,ces mecs sont tous des pourritures absolues pratiquant leurs activités en toute bonne conscience,pour eux le crime est un business comme un autre.La nature humaine est sévèrement jugée ici,la cupidité n'étant pas seulement l'apanage des mafieux,car chacun veut en croquer.Cette manne providentielle,ce déferlement de dollars touche et corrompt tous les intervenants,sans exception.Tout le monde est à vendre,tout le monde s'achète,qu'il s'agisse des employés de casinos,des voituriers,des barmen,des filles,des fonctionnaires,des juges,des banquiers ou des flics,tous veulent gratter leur billet.D'ailleurs Ace achète carrément Ginger,qui n'en veut qu'à sa fortune,ce qui initiera une tragédie antique avec un trio amoureux instable et dangereux entre le mari,la femme et le meilleur ami.Ce pourrait être un vaudeville mais en ce contexte ça ne rigole pas du tout,d'autant que Scorsese n'élude en rien le spectacle de l'ultra-violence.Tabassages en règle,flingages,tortures et meurtres atroces égaient ponctuellement l'action,le désert entourant la ville devenant progressivement un vaste cimetière où l'on creuse à l'avance les trous où on jettera les cadavres.Ce paradis des truands se transforme en enfer,et personne ne sortira indemne de ce morbide opéra consumant les illusions des passions délétères.Comme souvent dans ses gangsters movies,le gars Martin propose un duo d'amis mal assortis,entre le type calme et malin,et l'excité totalement à la masse.Dans "Mean Streets",Harvey Keitel était le cérébral et Robert De Niro l'abruti,puis ce dernier a endossé le rôle du mec intelligent dans "Les affranchis",face à un Joe Pesci proprement terrifiant en allumé sans limites.C'est ce même duo qui est reconstitué ici,avec des comédiens magistraux au sommet de leur art.De Niro est bluffant en notable du crime qui porte beau et fait un sans faute avant de sombrer à cause de l'amour aveugle qu'il porte à la fille qu'il faut pas,alors que Pesci réitère son numéro exécuté dans "Les affranchis" et se montre tout aussi inquiétant.La magnifique Sharon Stone se glisse habilement entre les deux monstres et investit crânement l'univers scorsesien en femme fatale condamnée d'avance par ses vices et sa bêtise.Les seconds couteaux sont classieux avec l'immense James Woods,hélas sous-utilisé en proxo profiteur et drogué,un excellent Don Rickles en directeur-adjoint du Tangiers,le toujours parfait Kevin Pollak en homme de paille de la mafia,cette vieille canaille de L.Q. Jones en shérif véreux et rancunier,Frank Vincent,un des acteurs fétiches de Scorsese,en porte-flingue sans états d'âme,Melissa Prophet,jolie nana de séries B,en épouse de Nicky,et quelques vedettes pointant dans leurs propres rôles,tel Frankie Avalon,car les casinos proposaient des spectacles de showbiz pour attirer encore plus de chalands,ce qu'ils font d'ailleurs toujours,on se souvient que Céline Dion a passé pas mal de temps là-bas.Notes et critiques de films de Martin Scorsese publiées précédemment:"Le loup de Wall Street"-6,"Hugo Cabret"-5,,"Aviator"-9,"Taxi driver"-8.Moyenne:7,6.