Le Chiffre (Mads Mikkelsen) est le banquier du terrorisme international, et dirige de ce fait le plus grand réseau financier de l’antimonde. Venant tout juste d’être élevé au rang de 00, James Bond (Daniel Craig) s’attaque à ce réseau, dans le but de le faire tomber. Mais il pourrait vite se heurter à des ennemis bien plus puissants que lui, dont la convoitise est vite agitée au vu des sommes d'argent qui sont en jeu…


La saga James Bond avait-elle besoin d’être renouvelée ? Cela paraît évident. Casino Royale est-il un bon renouvellement de la saga ? La réponse mérite d’être bien plus nuancée. En tous cas, on a du mal à comprendre comment on peut croire que renouveler une saga d’action en lui ôtant presque toute forme d’action… Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, et commençons par le commencement.
Que Sean Connery ait incarné ou non le « vrai » James Bond n’est finalement pas essentiel, même si le modèle de l’espion de papier étant Cary Grant, le choix de Sean Connery paraît relativement cohérent. Quoiqu’il en soit, l’acteur écossais a imposé un style propre, qui a défini le personnage, et initié un modèle que tous ses successeurs reprendront, de plus ou moins loin, même si Timothy Dalton avait déjà donné l’image d’un James Bond moins désinvolte et plus torturé.
Daniel Craig reprend donc le flambeau allumé par Timothy Dalton, mais là où Dalton jouait un drôle de numéro d’équilibriste, Craig s’engage pleinement dans la voie de la noirceur. Il compose donc un personnage tout nouveau, brutal, froid et sinistre. En l’occurrence, le personnage est très réussi, et son interprète objectivement excellent. Le problème, c’est que ce n’est pas James Bond…


Dès sa scène pré-générique, apportant le premier vrai flashback qu’on ait vu dans la saga, le film de Martin Campbell nous annonce directement que tout va changer, et que Casino Royale, en plus d’être un préquelle, prendra également la forme d’un reboot. Faire table rase du passé pour créer un tout nouvel univers d’espionnage, on ne s’oppose pas totalement à la démarche, mais il paraît un peu opportuniste de profiter de la popularité d’une saga pour se greffer dessus et en modifier tous les codes, au lieu d’aller créer sa propre histoire avec ses propres personnages…
Le problème, c’est que les scénaristes mettent visiblement un point d’honneur à tourner le dos à tout ce que la saga avait construit jusqu’à présent. Il est vrai que, jusqu’à 2002, James Bond était un personnage nouveau à chaque film, qui n’évoluait jamais de volet en volet, et que chaque épisode de la saga pouvait être pris comme un film indépendant, qui n’entretenait aucun lien avec le reste.
Désormais, les scénaristes semblent être décidés à développer leurs personnages sur plusieurs films : très bien, mais c’est passer à côté de l’essence profonde de James Bond. Personnage sans peur et sans reproche, héros parfait, le vrai James Bond n’est pas un humain, il est bien plus que cela, il est un archétype. Imagine-t-on un réalisateur prendre en main Tintin pour expliquer ses origines, ses doutes, ses failles intimes ? Bond, c’est le Tintin de l’espionnage, un personnage dont on ne sait rien, et même plus encore, un personnage dont on ne doit rien savoir.


C’est là tout le drame de Casino Royale : en voulant poser les bases de ce qui s’annonce une toute nouvelle saga d’espionnage, le film brise toutes les clauses de son contrat. Pire, il nous propose sans doute le James Bond le plus indigent en termes d’action, depuis On ne vit que deux fois. Si les trois principales scènes d’action sont très bien gérées, on ne peut que regretter qu’elles n’occupent pas davantage de place dans un film qui dure 2h20 !
En effet, le plus gros morceau du film est une longue partie de poker (35 mn en comptant les pauses, plus d’un cinquième du film) entre James Bond et Le Chiffre, et ferait passer Le Chant du loup pour un modèle de limpidité lexicale, tant les scènes de jeu se résument ici à une succession de mots spécialisés et de regards ombrageux, qui laisseront sur le carreau celui qui n’a pas eu le bon goût d’avoir fait du poker sa passion…
Parler d’ennui relèverait donc ici de la litote, tant il touche dans cet épisode des proportions phénoménales, que jamais la saga n’avait atteintes auparavant. Et quand le principal enjeu du film devient la sauvegarde des couilles de James Bond, on comprend que Martin Campbell et ses scénaristes ont définitivement baissé les bras quant à la possibilité de donner des enjeux intéressants au film.


Fort heureusement, cela ne signifie en aucun cas que tout soit à jeter dans Casino Royale. On a dit le bien qu’il fallait penser des acteurs, et en effet, si Daniel Craig crève l’écran, les autres ne sont pas en reste, notamment, bien sûr, particulièrement la complexe Vesper Lynd, magnifiée par le jeu sans failles de la belle Eva Green. Le Chiffre, personnage relativement vide par ailleurs mais correspondant bien au schéma bondien, bénéficie totalement de la fascinante prestation de Mads Mikkelsen, qui nous émerveille décidément de film en film.
Tous ces acteurs n’ont d’ailleurs pas à chômer, puisqu’ils donnent corps à des dialogues bien troussés, qui exposent de jolie manière, mais jamais de façon trop explicative, les relations entre les personnages, plus complexes que jamais pour un film de la saga.
En cela, qu’on ne nous fasse pas dire ce qu’on n'a pas dit : Casino Royale est bon film. Mais c’est en tant que James Bond qu’il faut le juger, et c’est en tant que James Bond qu’il déçoit, tant il trahit une à une toutes les clauses du contrat élaboré minutieusement en plus de 20 films.


Fort heureusement, le savoir-faire indéniable de Martin Campbell, l’extrême qualité du casting et le savoir-faire de certains vieux artisans de la saga (David Arnold à la musique, Daniel Kleinman au générique, accompagnant une des meilleures chansons introductives de la saga, Peter Lamont aux décors) nous permettent d’entretenir encore (mais pour combien de temps ?) une nostalgie, dont les scénaristes semblent de plus en plus décidés à nous priver.
Heureusement, pour se consoler de la mort de James Bond, il nous reste toujours la possibilité de se tourner vers une saga qui l’a mieux compris que quiconque, et de revoir en boucle les géniaux épisodes de Kingsman

Tonto
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le 1 oct. 2021

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