Chats perchés est un film modeste, mais qui tisse en filigrane les dernières lignes de la biographie de Marker avec une tonalité presque testamentaire. Le spectateur est happé par la métaphore du chat rythmique – ce chat-Boléro – tandis que le film semble manipuler sa propre temporalité : son habillage technologique est déjà daté, alors même que l’on est en 2004. Marker assume ce décalage. Il veut faire archaïque, employer des procédés déjà obsolètes, parce qu’il lui faut penser depuis le passé pour parvenir à faire ressurgir ce qui l’habite. Son geste est double : d’abord historique – lorsqu’il filme les CRS, il les cadre comme on filmait dans les années 1960, pour montrer que cette violence autoritaire n’a pas disparu, qu’elle est toujours là, avec les mêmes postures, les mêmes armures ; ensuite pratique – cette légèreté du dispositif lui permet d’être furtif, de circuler comme un chat, sans se faire voir.
Le film épouse une dynamique ascendante, celle qu’on retrouve parfois chez les cinéastes vieillissants, lorsqu’ils veulent, d’un geste naïf mais lucide, refaire un premier film (à la manière du Pierrot le fou de Godard). Marker réactive de façon presque subliminale la mémoire de Mai 68, notamment dans ces plans tournés au croisement du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Michel. Il met en scène une sorte d’apprentissage : il commence par une posture radicale, puis glisse vers un temps de réflexion, de retour sur ce qui a été compris, ou manqué.
Ce qui séduit aussi, c’est ce jeu permanent entre celui qui filme et ceux qui sont filmés : un va-et-vient de séduction, parfois tendre, parfois plus troublant. Pensez à ces femmes filmées dans le métro, sous le prétexte d’une chasse au chat – les visages croisés sont rapprochés de races félines, selon une logique totemique où l’on retrouve, en creux, la figure de la chouette, animal-fétiche de Marker. C’est un autoportrait crypté, celui d’un artiste en fin de course, qui se cache derrière sa créature, la traque, l’aperçoit dans les rues de Paris, s’en approche, puis s’en éloigne.
Un documentaire précieux, d’une richesse inattendue dans une forme qui se veut discrète, presque enfantine, et dont le regard non-dit touche juste. À recommander sans réserve.