Monter un film de science-fiction en France reste encore aujourd’hui un défi, alors même que le pays a toujours su produire des récits d’anticipation solides, en particulier dans la bande dessinée. Cédric Jimenez n’est pas affinitaire avec le genre, mais il a déjà prouvé qu’il savait signer des films d’action efficaces, rythmés, souvent imparfaits mais globalement plaisants. Ici, il tente de greffer un univers futuriste pour lequel il a peu d’intérêt sur une trame policière plus familière. Malheureusement, ni l’un ni l’autre ne tiennent vraiment. Il plaque une couche d’intelligence artificielle sur une enquête et un complot de pouvoir vus mille fois. Mais cette technologie reste complètement décorative. Le film, au lieu de creuser ses ambitions, reste bloqué à la surface.
Très vite on voit que le problème vient de l’écriture. On est censé se trouver dans une ville futuriste, segmentée en trois zones sociales hermétiques, mais rien de tout cela n’est crédible. Le système d'Alma, cette IA censée gérer la ville, repose sur des barrières physiques absurdes, une géographie illogique (Saint-Cloud et Neuilly en zone 3 ?) et des principes d’anticipation bien trop datés. Là où Minority Report, Black Mirror, ou même certains récits d’anticipation des années 70, jouaient sur le scoring social, la surveillance algorithmique, la déshumanisation subtile, Chien 51 nous ressert des grilles, des scans de poignet, un usage de l’IA encore très physique et caricatural. Ce qui aggrave encore le tout, c’est l’accumulation d’incohérences structurelles : une économie de la ville qui ne tient pas debout, une stratification sociale jamais crédible, des zones géographiques absurdes, et surtout une incapacité à penser la technologie comme autre chose qu’un gadget scénaristique. Même l’idée du “sosie” de Jon Mafram, qui aurait pu rappeler V pour Vendetta ou les figures d’Anonymous, est agitée sous notre front pour être vite abandonnée, alors qu’elle aurait pu porter une vraie réflexion sur l’identité et la résistance.
La question de la dépendance des policiers à Alma, qui aurait pu déboucher sur un vrai conflit homme/machine n’est même pas esquissé à l’écran. La dynamique entre les deux policiers, l’un de la “haute”, l’autre de la zone 3, aurait pu interroger les écarts de perception, d’accès à l’information, de méthode. Mais ce duo tombe à plat, à cause d’un traitement caricatural, d’un scénario paresseux, et surtout, d’une absence totale d’alchimie entre Gilles Lellouche et Adèle Exarchopoulos. Petit aparté tellement j’en ai marre de ce cliché : le carré à frange est-il la seule de cheveux de la femme du futur ? À aucun moment on ne croit à leur rapprochement. Leurs personnages ne sont pas seulement mal assortis : ils sont mal écrits. Leurs passés respectifs, censés les hanter ou les motiver, sont à peine esquissés, ou incohérents d’une scène à l’autre. On dirait que le film pose des éléments en espérant qu’on les prendra comme argent comptant, sans les travailler. La scène de karaoké tombe à plat tant elle sonne faux. Ce manque d’incarnation se retrouve aussi dans l’interprétation. Romain Duris, pourtant capable d’un charisme intense, est ici totalement éteint dans son rôle de ministre. Louis Garrel et Valeria Bruni-Tedeschi s’en sortent mieux, mais leurs personnages sont secondaires, presque décoratifs. Tout repose sur le duo central, qui ne fonctionne pas. Et comme les dialogues manquent de chair, les enjeux de tension ou d’émotion s’effondrent très vite.
Chien 51 est un film paresseux. Un film qui avait les moyens de faire mieux, qui aurait pu tenter des choses, mais qui se contente d’imiter sans comprendre. On a déjà vu mille fois ce qu’il essaie de faire — et en bien mieux. Il rate ce qui fait la force du genre : proposer des possibles, interroger le présent à travers le futur. En sortant de la salle, on se dit surtout : quel gâchis.