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Civil War
7.1
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Alex Garland a un début de carrière on ne peut plus prometteur. De son brutal Dredd qu’il a réalisé sans les crédits à son insidieux Ex Machina, en passant par le follement original Annihilation, il n’y a guère que le pataud Men pour entacher cette filmographie. C’est donc avec un enthousiasme débordant que je me suis rendu en salle voir Civil War, m’étant épargné toute bande-annonce pour me préserver la surprise.


Le film sur les reporters de guerre est un genre en soi, dont les codes ont été établis par des œuvres marquantes, allant de The Year of Living Dangerously de Peter Weir à la mini-série Generation Kill de David Simon, du Under Fire de Roger Spottiswoode au coréen A Taxi Driver de Jang Hun. Il était donc important que Garland trouve un juste équilibre sur les fondamentaux du genre, en réussissant à imbriquer la conscience du détachement nécessaire à un tel métier dans le pathos nécessaire à l’implication du spectateur, avec toujours cette épée de Damoclès d’une fragilité du mental prêt à céder face à l’horreur.


Nous sommes ici en terrain connu, avec une clique de journalistes archétypaux, nourris par des motivations différentes dans leur travail, et brossant une liste presque trop exhaustive de ces moteurs. Mais si les personnages ne dépassent que rarement leur fonction, c’est que le message ne se porte pas sur la difficulté d’une telle profession. Non, si Garland choisit de nous faire adopter le point de vue de journalistes chargés de documenter cette apocalypse, pour prétexter ce roadtrip où le spectateur se place de facto comme témoin objectif de ce que signifie la guerre civile éponyme.


Le film démarre par des images réelles issues des médias, dont la tangibilité servira de point de mire au reste du métrage. Civil War choisit une approche quasi documentaire (hormis les quelques envolées visuelles qui viennent rompre la tension), jusqu’à aller citer directement le massacre de Charlottesville dans le CV de Lee, la reporter aguerrie. Et pour cause, toute l'œuvre ne peut exister qu’en parallèle avec ce qui se déroule dans l’actualité, tant toutes les images qui inondent les médias ne sont qu’à un pas de celles présentées par Garland. Un pas que je vois régulièrement simplifié à Donald Trump dans les divers écrits qui pullulent sur le film (certes, la ressemblance du président campé par Nick Offerman est là). Mais la critique qui voudrait que la quête de nos protagonistes, recueillir les derniers mots du président à Washington, soit réductrice des enjeux réels est caduque. Cette critique qui fait dire au film que celui-ci est l’unique responsable du mal qui gangrène les USA, alors même que les bidasses sont sur une ultime photographie qui fait toile de fond au générique, fiers de leur massacre.


Durant tout le film, le flou est maintenu sur les oppositions qui déchirent le pays. On glane ça et là quelques bribes d’une alliance de l’Ouest entre la Californie et le Texas (à priori, les antifas, vu la prépondérance de cette soldate noire dans le dernier quart d’heure), on entend parler d’une insurrection en Floride, on comprend que Pittsburgh s’isole… Mais on n’est jamais sûr de rien, et des raisons pour lesquelles s'affrontent les combattants rencontrés lors du voyage. Ce flou sur les forces en présence est un reflet de la multiplicité de l’identité américaine. Les fractures sont myriades, et les revendications le sont tout autant. L’impossibilité d’une réunion des convictions, indéfinies, ne peut aboutir que sur l’anarchie présentée. Une anarchie qui se traduit par des massacres déresponsabilisés, des règlements de compte personnels ("On était au lycée ensemble... Il ne me parlait pas"), et la livraison à de bas instincts qui n'attendaient qu’un prétexte pour surgir.


Toute la portée du film est amplifiée par la maîtrise du carnage que présente Garland, nous soufflant dès les premières minutes. Le roadtrip apocalyptique nous amène de situations absurdes (les snipers) à d'autres tout simplement glaçantes (Jesse Plemons, la terrifiante normalité). Et lorsque nous ne suons pas, nous nous laissons porter par la beauté formelle de certains plans, par le plaisir de découvrir Cailee Spaeny et de retrouver Kirsten Dunst. Puis vient ce final tonitruant, chaos dans le chaos et point d’orgue du déferlement de haine qui régit les rues de la capitale.


Le réalisateur nous livre une œuvre qui divise déjà, dans ce que l’on souhaite y voir, dans ce que l’on y cherche et ne trouve pas, dans ce qu’elle semble dire et sera mal compris par une partie du public. Et si Civil War n’est pas toujours subtil, parfois gratuit, il est toujours diablement efficace. Ce serait se fourvoyer de n’envisager le récit et l’avertissement qui en découle comme des enjeux exclusivement américains. Le monde est au bord d’un nouveau précipice, alors que les tensions, internationales aussi bien qu’intranationales, sont exacerbées comme elles ne l’ont pas été depuis les années 30. Mais finissons tout de même sur une note plus légère, je laisse John Cleese vous parler des extrêmes de façon ludique.

Créée

le 30 avr. 2024

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Frakkazak

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