On sait qu’on va y aller, qu’on va se taire, qu’il y aura un silence pesant, un parfum d’adieu, et peut-être cette impression que quelque chose s’achève pour de bon. Conjuring : L’Heure du jugement arrive ainsi, avec son titre solennel comme un glas. On croit reconnaître la mécanique, les visages, les gestes… et pourtant tout vibre d’une fatigue funèbre.
Ed et Lorraine Warren — figures devenues mythes, silhouettes gravées dans l’ombre des années — se retrouvent happés par une dernière enquête, celle qu’ils n’auraient pas dû accepter. Dans la maison des Smurl, un mal ancien, patient, s’agite. Mais ici, le film ne s’amuse plus à effrayer, il cherche à mesurer l’usure. Les murs craquent moins de spectres que de mémoire. Chaque apparition, chaque grincement, semble dire : « c’est la fin ».
Michael Chaves filme comme s’il tenait une veillée. Peu de sursauts gratuits, davantage de silences. La peur n’explose plus : elle s’infiltre, elle ronge. Une horreur domestique, lente, presque résignée, où l’on se surprend à craindre non pas le démon mais la lassitude, l’épuisement de ces deux chasseurs de fantômes qui se savent condamnés à continuer. Lorraine, le regard noyé, sent plus qu’elle ne voit. Ed, lui, vacille, comme un corps qui ne veut plus obéir.
La maison Smurl devient métaphore : un lieu où l’histoire s’écrit en couches successives de malédictions, comme si le mal, finalement, n’avait jamais besoin de se renouveler — il attend simplement qu’on y retourne. On retrouve les crucifix renversés, les ombres dans l’embrasure, les visages déformés dans l’obscurité, mais derrière l’arsenal habituel, il y a cette sensation nouvelle : le combat ne se gagne pas, il s’endure.
Vera Farmiga et Patrick Wilson jouent comme on dit un texte pour la dernière fois : avec gravité, avec ce tremblement des voix qui savent qu’elles vont se taire bientôt. Rien n’est souligné, tout se dépose comme une confession. Même la musique se fait funéraire, procession plus que tension.
Et puis, ce jugement promis par le titre : est-ce celui des spectres, des vivants, ou du cinéma lui-même qui regarde en arrière et mesure le chemin parcouru ? Ce quatrième volet, au lieu d’achever, laisse une brèche. Une inquiétude qui ne se clôt pas. On sort avec cette impression trouble : et si la malédiction, ce n’était pas le démon, mais l’éternel retour de ces histoires que l’on raconte jusqu’à l’épuisement ?
C’est peut-être ça, le vrai frisson : non plus une porte qui claque, mais la certitude qu’on n’échappera jamais au besoin de se faire peur, encore et encore, même quand tout a déjà été dit.
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