Qui est le film ?
Troisième volet officiel de la saga initiée par James Wan, The Conjuring: The Devil Made Me Do It (2021) marque une rupture nette : après deux huis clos domestiques qui cultivaient la claustrophobie comme condition de la hantise, le récit s’ouvre vers l’extérieur. Il quitte la maison pour investir le tribunal, le poste de police, l’espace médiatique. Le film se fonde sur un cas réel (premier procès américain à avoir plaidé la possession démoniaque comme défense pénale) et promet un élargissement : mettre la peur à l’épreuve du monde réel.
Que cherche-t-il à dire ?
Le film pose une question vertigineuse : le mal peut-il encore être pensé dans une société entièrement structurée par la preuve ? Si personne ne nie l’événement tragique, la possession n’est pas ici une créature, mais un conflit d’interprétation : entre foi et droit, entre expérience intime et discours public. Le film tente, en théorie, de radiographier la manière dont une société moderne gère l’irruption de l’inexplicable et jusqu’où elle accepte de renégocier ses outils pour le penser.
Par quels moyens ?
L’ouverture par le tribunal déplace l’horreur du corps vers la structure institutionnelle. Le mal ne fait plus seulement peur, il désorganise la notion de responsabilité. Pourtant, très vite, le film bascule hors du procès, et ne l’habite jamais pleinement comme dispositif dramatique.
Le film joue sur l’ambiguïté morale : Arne est-il un meurtrier ou un médium involontaire ? L’idée est riche, presque jusqu’à rappeler The Exorcist : comment juger ce qui échappe aux catégories humaines ? Mais le film contourne le trouble. Là où il pourrait faire vaciller le spectateur, il préfère bientôt rassurer "oui, c’est bien un démon, oui, on va gagner".
Le couple Ed / Lorraine incarne cette médiation entre visible et invisible. Mais pour la première fois, ils ne portent plus l’inquiétude : ils imposent la lecture. Ils deviennent autorités, et non forces vulnérables face à l’énigme. Ce glissement entraîne un aplatissement moral : on ne doute plus avec eux, on les suit.
Le film navigue entre enquête, horreur et thriller judiciaire mais sans tension plastique singulière. Là où Wan sculptait chaque plan comme une expérience sensorielle, ici l’image illustre. Elle commente une idée, elle ne la crée pas. Le mélange des registres n’ouvre pas un espace de complexité ; il disperse.
Où me situer ?
Je suis fasciné par le film qu’il aurait pu être et frustré par celui qu’il est. Il pose des questions que très peu de films d’horreur osent formuler : que signifie juger un événement théologiquement illisible ? Mais il refuse presque systématiquement d’en accepter les conséquences. Je vois un film inquiet dans son intention, rassurant dans sa forme. Un film qui comprend l’enjeu, mais recule devant l'ampleur du travail et son cahier des charges.
Quelle lecture en tirer ?
Si le film déçoit, c’est parce qu’il ose ouvrir une brèche puis la rebouche.