Quand Oncle Silas rencontre Rebecca rencontre Barbe-Bleue rencontre Les Innocents rencontre La Dame en Noir et rencontre plein d'autres trucs encore. Sous l'accumulation de références honorables, Crimson Peak a du mal à faire valoir une personnalité propre, si ce n'est dans le visuel : effets spéciaux à la pointe, décors ex-tra-or-di-naires (une pleine brouette d'Oscar techniques à prévoir), photographie sublime, ambiance rétro tantôt chaude, tantôt frissonnante, des contrastes de couleurs fabuleux...


En bref, le mariage Del Toro-gothique est (visuellement et esthétiquement) parfait, puisqu'il dépasse la simple imitation ou l'hommage sage et respectueux (cf. La Dame en Noir), mais réinvente littéralement l'imagerie du genre en le rendant viscéral, carrément organique, biologique : Crimson Peak, vit, respire, transpire, et rejette ses propres déjections, et à ce titre, la maison est semblable à un gigantesque organisme hybride fait de bois et de chair, et c'est trèèès clairement la grande force du film.


Oui, difficile de nier que Crimson Peak est un écrin magnifique. Mais en d'autres termes, on pourrait dire que se plonger dans le film de Del Toro revient à ouvrir une luxueuse boîte à cigares cubains hors de prix pour n'y trouver que de vulgaires gauloises. Une mécanique d'une beauté exquise (on aimerait mettre sur pause juste pour laisser nos mirettes se délecter le tableau)...


... mais qui tourne à vide.


Une surprise? Non. Une déception ? Oui. Car c'était déjà le cas dans "Pacific Rim". Et ainsi, comme le film aux kaijus, Crimson Peak aligne les tournures de scènes maladroites qui vous font sortir par petites touches d'un film qui avait pourtant tout pour lui.


A commencer par l'interprétation au top. Wasikowska est mignonne et fait le job, Hiddleston réussit à exprimer toute la fragilité inquiétante de son personnage et, loin, très loin au-dessus de tout le monde, Jessica Chastain. Je ne le répéterai jamais assez, nous avons actuellement avec Jessica Chastain la chance d'assister aux performances d'une très grande actrice, une comédienne époustouflante qui même lorsque son rôle devrait la desservir, réussit à crever l'écran.


Dans Crimson Peak, la rousse incendiaire se fait brune ténébreuse, presque vampirique, et tient la dragée haute aux grandes tragédiennes de l'horreur, aux Barbare Steele et autres Catriona McCoil, éclaboussant l'écran de sa classe froide et hautaine, envoyant de grands élans de sensualité en découvrant une simple épaule ronde et diaphane. Elle rôde, affectée, condescendante, superbement supérieure, nous rappelle l'ombre de Mrs. Danvers et de Lady Macbeth... Et chacune de ses apparitions nous décroche un sourire béat d'admiration. A noter que ce n'est pas le premier film que l'actrice sauve par son rayonnement, et probablement pas le dernier non plus. Courage Jess, l'Oscar n'est plus très loin.


Mais aussi scotchés que l'on soit par la créativité visuelle intacte de Del Toro, d'un point de vue narratif, Crimson Peak est aussi généreux qu'un patron du CAC 40, et n'invente rien, ne propose rien, aucune audace ni même un schéma un tant soit peu original ou plaisant. De même, l'intrigue, qui capitalise pendant une bonne heure sur son mystère, retombe comme un soufflet à mesure que le "dénouement" approche, jusqu'au final d'une rare platitude (vulgaire combat à coups de pelle saupoudré de punchlines dignes d'un DTV avec Steven Seagal). On a finalement affaire à une histoire de crime affreusement bancale, où les fantômes ne semblent que de pâles faire-valoir.


D'autant plus rageant, car le film par moments touche au sublime, avec des scènes d'un lyrisme outrancier, où les dialogues semblent subitement plus littéraires et fleuris, mais qui lui confèrent un romantisme enveloppé d'une inquiétante étrangeté, des instants fugaces où enfin le fond et la forme ne font plus qu'un. Frustrant.


Autre chose : globalement, hormis une introduction aux allures de conte plutôt efficace, Crimson Peak, est c'est un point inquiétant en soit, ne fait pas ou que très peu "peur". Les jump scares sont classiques et interviennent globalement là où on les attend, loin des trouvailles perpétuelles d'un James Wan. Embêtant pour un film d'horreur, qui même s'il ne l'est pas vraiment, s'est vendu tel quel depuis des mois, présente une violence graphique parfois gratuite


Ainsi l'on sort de ce film déçu, avec beaucoup de doutes et d'interrogations, et une seule confirmation : si Del Toro est un génie visuel, il ne semble plus, depuis plusieurs années, avoir la moindre volonté (capacité?) d'écrire une vraie histoire, et ce même quand il s'adjoint les services d'un scénariste compétent (Matthew Robbins). Un point faible trop récurrent à Hollywood ces derniers temps, avec les exemples de Zack Snyder et Peter Jackson.

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le 15 oct. 2015

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