Guillermo Del Toro est un producteur prolifique mais mine de rien un cinéaste qui tourne assez peu. Il faut dire que malgré la qualité de ses films, c’est un réalisateur qui a du mal à connaître le succès commercial. Non seulement il divise beaucoup mais en plus il a tendance à enchaîner les projets qui n’aboutissent pas, que ce soit dans le secteur du jeu vidéo où chacune de ses tentatives furent réduites en échec, le dernier exemple en date est Silent Hill, ou encore dans le secteur cinématographique où il tente d’adapter en vain depuis des années Les Montagnes Hallucinées de Lovecraft ou plus récent son incapacité à finir sa trilogie d’Hellboy sans parler de son Pacific Rim 2 qui vient d’être mis de côté pour une durée indéterminée. Il est ce que l’on pourrait appeler un auteur maudit faisant de ses projets des œuvres rares mais précieuses.


Ici avec son nouveau film, il revient à ses premiers amours, le conte gothique. On se retrouve donc devant une œuvre plus intimiste comme il n’en avait pas fait depuis El Laberinto del Fauno, les deux long métrages partagent d’ailleurs beaucoup, formant même un diptyque par leurs propos. Néanmoins ici on va plus loin que ça, le récit étant totalement empreint de la patte de son auteur, on y retrouve beaucoup de ses films précédents pour un résultat qui mélange naïveté enfantine, désillusion du monde adulte, le fantastique pour parer l’horreur et la cruauté humaine ainsi que la mélancolie amoureuse qui poussent à la destruction. En apparence l’intrigue se révèle très simpliste, prévisible et pour tout dire déjà-vu étant sur le plan narratif un hommage aux productions de la Hammer, du cinéma d’Argento et de la littérature gothique pour ne citer qu’eux. Après il est inutile de s’étendre sur les défauts narratifs de Crimson Peak surtout que ses quelques défauts ne reflètent pas l’œuvre dans sa globalité car l’apparente simplicité de l’ensemble cache un voile de subtilité et de symbolique qui révèle une histoire complexe et fascinante.
Comme toujours chez del Toro c’est la métaphore qui prévaut, ses intrigues et personnages étant souvent caricaturaux et peu exploités au final. Ce qui l’intéresse est avant tout la symbolique qu’il peut faire transparaitre avec ça. Ici il construit son film de manière assez habile, instaurant d’abord la partie fantastique avant de se plonger dans le rationnel. Ceci en dit déjà beaucoup, instaurant l’imaginaire de son héroïne qui est plus enclin à la rêverie et la naïveté. Ensuite plus le film avance et plus elle découvre le manoir, qui est sa nouvelle demeure, et plus elle prend conscience de la réalité des fantômes et donc par extension de la cruauté dont peut faire preuve les Hommes. L’enfant qu'elle était fini par gagner en maturité et entre dans l’âge adulte. Pour son Laberinto del Fauno, del Toro avait une intention similaire mais une approche différente, ne définissant jamais le fantastique et laissant le doute sur son existence pour symboliser que la rêverie de l’enfant lui permettait de se protéger contre la violence de la guerre. On est donc là face à la version adulte, une version plus perfectible car elle manque cruellement d’émotions, Del Toro ayant du mal à retranscrire la détresse ou la mélancolie des personnages, mais qui reste tout aussi maitrisée et intelligente. Il mélange habilement le fantastique et le réel au sein d’un conte gothique fulgurant et dense utilisant même le monde des insectes comme vecteur de son récit et moteur pour ses personnages notamment dans le rapport à la terre, la noirceur et l’usure du temps qui cache les méfaits du passé faisant contraste à la luminosité de l’héroïne qui symbolise l’innocence et la pureté. Ici le règne animal permet de mieux définir le rapport entre les personnages et de mieux comprendre leur psychologie notamment dans la relation fascinante qu’entretienne le frère et sa sœur qui est d’ailleurs en mesure d’offrir la seule scène d’émotion du film. L’ensemble étant au final une réflexion pertinente sur la passion dans chacun de ses aspects.
Et toute la partie symbolique se reflète dans la réalisation impeccable de l’œuvre. Celle-ci nous offrant une direction artistique à tomber mais surtout une splendide photographie qui joue magistralement sur les couleurs. Comme pour Pacific Rim, del Toro instaure un code couleurs subtil et bien pensé appuyant la métaphore de l’ensemble comme lorsque que le rouge de l’argile prend le dessus sur le blanc aveuglant de la neige lors d’un dernier acte un brin expédié. Cela symbolise à merveille la fin de l’innocence, la puberté de son héroïne ainsi que l’explosion des passions et de la violence. Le film pouvant même être vu comme le parcours physique et psychologique d’une jeune fille devenant femme. La mise en scène de Guillermo Del Toro encadre le tout avec fluidité grâce à des mouvements de caméras amples et souvent aériens passant à travers les objets et les personnages de la même manière que les fantômes du récit. Comme toujours avec le cinéaste, elle se montre ingénieuse et maîtrisée faisant aussi preuve d'un savoir-faire esthétique indéniable et d'un sens du détail irréprochable. Le tout étant aussi englobé d’un score musical inspiré à la fois sensible et angoissant.
Le casting accompagne le film à merveille, on retrouve beaucoup d’habitués du cinéma de del Toro dans une distribution secondaire discrète mais juste à l’image de Charlie Hunnam, ici légèrement sous exploité. Le long métrage brille surtout par son trio principal composé de Mia Wasikowska, qui manque de charisme mais compense par une interprétation sensible du plus bel effet, tandis que Tom Hiddleston se montre comme à son habitude intense et magnétique dans une performance trouble et attachante. Mais c’est finalement Jessica Chastain qui surprend dans un rôle froid et complexe où elle brille à la fois dans le monolithisme et l’hystérie. Elle apporte une densité et une fièvre maladive assez saisissante au récit.


Crimson Peak est donc un excellent film, prévisible sur son intrigue mais incroyablement dense et complexe sur ce qu’il a vraiment à dire. Utilisant la symbolique et la métaphore avec habilité, il s’impose en œuvre picturale fascinante et magistralement orchestrée mais regrettablement trop désincarnée malgré les tentatives de l’auteur. Mise en scène flamboyante mélangeant une superbe direction artistique et un jeu de couleurs habile, scénario classique mais plus profond et subtil qu’il ne le laisse paraître et casting irréprochable font de Crimson Peak, une œuvre majeure dans la filmographie du cinéaste, qui offre encore une fois un long métrage intimiste qui n’appartient qu’à lui. Il ne renouvelle peut être pas le genre mais il offre sans conteste le conte gothique le plus intense et réussi depuis El Laberinto del Fauno, le « Maestro » est toujours le « Maestro ».


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Frédéric_Perrinot
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le 16 oct. 2015

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