En réalisant Dark Crystal, Jim Henson voulait créer un conte d’heroic fantasy dans lequel la cosmogonie serait entièrement organique, afin d’incarner ses marionnettes dans un monde réaliste et crédible qui s’éloignerait de la forme plus carnavalesque et caricaturale des Muppets. C’est à partir d'un travail artisanal à la fois monumental, flamboyant et ultra fouillé que l’auteur, avec l’aide inestimable de Frank Oz, s’inspire des illustrations de Brian Froud (collaborateur du projet, par ailleurs) et de son univers mythologique d’inspiration celtique et nordique. En effet, les couleurs automnales, la richesse végétale, les créatures étranges et la texture semblable à du parchemin vieux comme des enluminures médiévales s’inscrivent dans son esthétique. On pense également au travail d’Alan Lee et à ses illustrations pour Le Seigneur des Anneaux dont on retrouve le souffle lyrique, mélodieux et dépaysant.
Au cœur de ce récit, Henson met une partie de lui dans le personnage de Jen, jeune Gelfling, dernier de son espèce, qui doit retrouver le fragment d’un cristal géant brisé, censé garder l’harmonie du monde. Après une scission de celui-ci, les Urseks, sortes de divinités très puissantes ayant élu domicile en ces terres, se fracturent en deux et donnent d’un côté les Mystics et de l’autre les Skekses. Jen, élevé par les premiers, habite dans cette communauté s’extrayant de la civilisation pour vivre reclus et de façon pacifique, à l’instar du cinéaste qui a vécu dans une communauté en marge et en autarcie lors de son enfance avant de partir pour se diriger vers ses rêves d'Hollywood. Les Mystics sont des magiciens sages, mais ils font égoïstement société seuls et préfèrent fermer les yeux sur les problèmes de leur monde. Tandis que les Skekses sont des rapaces hideux et des charognes répugnantes préférant résider dans la décadence, le luxe, la perversion et les excès de pouvoir en tout genre. Ils sont la part sombre de l'âme, celle qui est capable de torturer et de ponctionner l'énergie vitale pour se nourrir.
Cette séparation de l’unité par la fracture du cristal représente les notions de Bien et de Mal ainsi que du Yin et du Yang se trouvant dans l’essence même de l’œuvre. En effet, les deux entités, malgré leurs différences, sont liées et si l'un meurt, l'autre périt également. Au milieu de tout cela, Jen représente une humanité devant retrouver et refondre l’harmonie de cet univers fracturé. Il a été choisi par la Création pour entamer cette quête et se doit de sortir de sa zone de confort pour le bien commun. C'est donc évidemment un voyage autant cosmique qu'intime qu’entreprend le sujet. La mission passe notamment par Kira, autre Gelfling, adoptée par une communauté étrangère à la sienne. Elle permet de concilier le penchant manquant du masculin, c’est-à-dire le féminin, et de retrouver une cohérence universelle prenant les contours d’un Éden où l’innocence et l’équilibre sont retrouvés.
Dans une période influencée par les religions new age, les réalisateurs créent un monde où tout fait un. De ce fait, Dark Crystal contient une aura très mystique et s’attache à un symbolisme ésotérique et spirituel. L’influence du new age se ressent également dans les décors panthéistes composés de matériaux qui épousent la fluidité de la nature et des végétaux, comme si elle avait façonné elle-même les lieux. C’est pourquoi le long-métrage est un opulent et foisonnant livre d’images chromatiques où chaque élément et détail fait corps et se connecte avec les personnages. Il procure le sentiment d’un hors-champ extensible qui s’étend bien au-delà du cadre. De plus, Dark Crystal se suit avec une limpidité déconcertante, marqué par cette alliance en apparence contrastée entre la prouesse sophistiquée et baroque de la direction artistique et la simplicité concise de la narration. C’est un chef-d’œuvre au caractère pur, lumineux, touchant et noble, se trouvant dans un contexte cinématographique où les notions d’imaginaire commencent à être poussées dans leurs retranchements.