Réalisé par un Britannique issu du monde de la publicité, De l'autre côté... est une fiction se déroulant au Japon qui aborde le thème de l'hikikomori, une pathologie sociale qui touche certains adolescents et jeunes adultes. Ceux-ci peuvent décider de s'enfermer dans leur chambre pour plusieurs mois, voire plusieurs années consécutives en refusant d'en sortir ou d'y laisser entrer qui que ce soit. Ce film aux origines et au thème surprenants cherche à sortir en salles depuis 2009, et n'y était jamais parvenu jusqu'ici faute de distributeur. C'est donc peu dire qu'on entre dans la salle intrigué, mais aussi enthousiasmé par des promesses singulières : un sujet peu traité, un cinéaste a priori extérieur au phénomène susceptible d'apporter un regard intéressant, et, on s'en rend compte très vite, une réalisation particulièrement léchée, en noir et blanc, toute en contrastes et en jeux d'ombres, qui n'est pas sans rappeler le Ruban blanc de Michael Haneke.

D'une durée de près de deux heures, le film évite toute approche psychologique pour prendre le parti d'une totale neutralité. La tentative est louable en témoignant d'une véritable ambition, là encore assez hanekienne, de traiter d'un sujet social grave sans sombrer dans le pathos ni le jugement facile. Le réalisateur Laurence Thrush choisit notamment de ne quasiment jamais montrer ce dont il parle. L'adolescent qui s'enferme dans sa chambre n'est presque pas visible, dissimulé au regard du monde mais également à celui de la caméra qui préfère s'arrêter à sa porte close. L'introduction, qui nous montre le garçon au lycée et dans la rue, semble pointer du doigt un environnement social étouffant où les jeunes sont robotisés, accomplissant l'une après l'autre des tâches répétitives, et où la vie de famille est déshumanisée à force de ployer sous des comportements normalisés (la femme à la cuisine, le mari au travail, les sujets de conversation bateau...). La même famille qui est au cœur du film souffre particulièrement d'une incommunicabilité criante, les dialogues étant rares et arides, l'insignifiance des propos qu'on y tient étant par ailleurs amplifiée par les cadrages parfois volontairement mornes et par un noir et blanc au rendu austère.

Laurence Thrush s'attarde ainsi sur la vie de famille hors ce garçon, limitée à une mère impuissante, un père absent et un jeune frère mutique. Donc, il ne se passe rien. La famille n'essaie pas réellement de sortir le jeune homme de sa chambre, ce qui est intéressant d'un point de vue psychologique mais n'est finalement qu'effleuré par le cinéaste. De fait, on ne comprend pas vraiment pourquoi tout est si lent, si anémique, alors que Thrush avait tous les outils en main pour construire un huis-clos un minimum anxiogène. Le déroulé du film est beaucoup trop monotone, et installe de plus en plus de distance entre le spectateur et la famille (on ne parle même pas du jeune homme enfermé, qui est invisible et silencieux l'immense majorité du temps). L'intention du cinéaste d'installer et de maintenir une certaine objectivité est visible et respectable... sauf qu'en restant aussi volontairement loin de ce qu'il montre, sans jamais céder à des effets pompiers ni même à une quelconque forme d'alarmisme face à une jeunesse manquant de repères (un propos clair dans l'introduction), Laurence Thrush tombe malheureusement dans l'excès d'objectivité en ne montrant ni n'expliquant rien, et, c'est le plus dommage, en n'apportant aucun point de vue. De l'autre côté... devient dès lors d'un ennui terrible, se refusant jusqu'à la construction d'une atmosphère, ici totalement atone, presque creuse.

Le hikikomori, au final, c'est quoi ? Le réalisateur britannique semble affirmer, en fin de compte, qu'il n'en a aucune idée et ne se sert de ce thème que pour construire un univers esthétique entrant dans le cadre de ses compétences (il faut redire qu'il est issu de la pub). Admettons quand même qu'on trouve une réelle authenticité dans les lieux, les décors et les personnages, à défaut de réellement comprendre ces derniers : le film s'approprie, avec un certain succès, un Japon contemporain qu'on a souvent l'impression de toucher du doigt sans le connaître soi-même. Mais bien vite, on se limite à un univers graphique vide de sens. Dire que Thrush échoue à trouver ce sens serait peut-être faux, car il ne semble, au fond, même pas vraiment en chercher un. De cette démarche d'abord axée sur le social, puis sur l'esthétique, il ne tire pas vraiment de quintessence, préférant les apparences propres et nettes à leurs dessous. Quand on traite un tel sujet, c'est pourtant dommage de s'en tenir là, tout comme c'est dommage, dès lors, d'étirer au-delà du raisonnable un film qui aurait pu être moitié moins long. Des deux côtés de la porte, des deux côtés de l'écran aussi, il ne se passe rien. Seul le temps s'écoule, lentement, s'étire à l'infini, signifiant peut-être l'ennui mortifère dans lequel glisse la jeunesse actuelle... et peut-être pas, on n'en saura rien...
boulingrin87
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le 12 mars 2015

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Seb C.

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