Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ par pierrick_D_

Rahatlocum,ville égyptienne sous administration romaine,doit être le théâtre d'une rencontre entre la reine d'Egypte Cléopâtre et l'empereur romain Jules César.Mais l'arrestation du représentant des commerçants locaux,le garagiste Ben-Hur Marcel,soupçonné de comploter contre César,va tout faire partir en vrille.Jean Yanne,comédien célèbre,s'est lancé avec succès en 72 dans une carrière d'acteur-réalisateur,ce film étant sa sixième et avant-dernière réalisation.Ce fut un triomphe public,ce qui semble assez mérité avec le recul tant ça tient encore le coup.C'est aussi un virage dans l'inspiration de Yanne qui se dirige ici vers la parodie historique,l'Antiquité précédant la Révolution Française qui sera le sujet de "Liberté,égalité,choucroute".Jusque-là il s'était attaqué à certaines institutions,les médias dans "Tout le monde il est beau,tout le monde il est gentil",l'entreprise dans "Moi y'en a vouloir des sous",la géopolitique dans "Les chinois à Paris" et le showbiz dans "Chobizeness"."Deux heures moins le quart" est une grosse production drivée par la Carthago Films du mogul tunisien Tarak Ben Ammar et la Renn Productions de Claude Berri qui avait à l'époque Coluche sous contrat.Le film a été tourné en Tunisie,où Ben Ammar possédait des studios du côté de Monastir,là où ont été shootées des oeuvres comme "Star Wars" ou "Les aventuriers de l'Arche perdue".Le luxe de la direction artistique est proprement hallucinant,avec une débauche de décors,fantastique travail de Théo Meurisse,de costumes,de chars,d'armes ou de chevaux,il y a même un lion,et une figuration nombreuse.Yanne ne s'est pas contenté de mettre en scène,il a aussi écrit scénario,dialogues,chansons,composé la musique et joué un des rôles principaux.Son histoire carbure sec aux anachronismes,tous les éléments de la modernité d'alors étant habilement intégrés dans l'univers antique.On a ainsi des télés,des cabines téléphoniques,des micros,du disco,des associations de commerçants,des mégaphones ou des cigarettes,sans oublier les détournements de pub,ah le déodorant Schlingus!,le tout s'emboîtant admirablement et sans ostentation au sein d'un monde ancien superbement restauré à l'écran.La façon de calquer les périodes l'une sur l'autre est brillante,comme avec le consortium des émirs qu'il ne faut pas contrarier car ce sont eux qui détiennent l'énergie,en l'occurrence l'avoine vu que ce sont des chevaux ou autres animaux qui sont utilisés pour les déplacements.On s'autorise même de courtes private jokes ardues à repérer si on n'a pas l'oeil,tel ce char baptisé Antonioni-Scola.L'anarchisme de droite de l'auteur n'est pas absent d'un scénario finalement très actuel qui nous présente une hyper classe déjà mondialisée exploitant et maltraitant le peuple avec une arrogance et une inconscience totales.On emprisonne ou exécute des gens à la moindre contrariété de puissants nantis de tous les droits et passe-droits pendant que la plèbe vit dans la misère,ce qui ne provoque que mépris et désinvolture de la part de la mafia dirigeante.Et en plus c'est très drôle et très bien écrit,quiproquos et malentendus complètement barrés entraînant de savoureuses scènes qui s'imbriquent parfaitement sans perdre le fil,le summum étant atteint avec les séquences de la boîte gay,prolongées au palais, entre César et Marcel.Hélas ça s'écroule un peu lors de la partie "Jeux du cirque" où se succèdent des épreuves avortées et toutes gagnées par le garagiste grâce à des tricheries stupides,le rythme et l'humour chutant notablement à ce moment-là.La distribution est extraordinaire et aligne de fantastiques acteurs jusque dans les emplois mineurs.Coluche fait son numéro bien rôdé de naïf imperturbable,légèrement con sur les bords,s'imposant comme l'interprète idéal de Marcel.Michel Serrault est étourdissant en César pédé,réitérant sa performance effectuée quatre ans plus tôt dans "La cage aux folles",et parvenant à être hilarant sans en faire trop,équilibre difficile à trouver en ces circonstances.Michel Auclair,immense acteur aujourd'hui trop oublié,a visiblement du mal à garder son sérieux face à lui à certains moments.Il incarne Demetrius,le consul censé faire régner l'ordre romain sur place,et sa subtilité épatante convient magnifiquement à ce personnage intelligent et compétent mais contraint de composer avec une folie ambiante déstabilisante.Il est flanqué d'un conseiller fayot et hypocrite qui n'est autre que le grand Darry Cowl et d'un centurion bas de plafond qui bénéficie de la virilité tranquille du génial André Pousse.Il y a aussi Françoise Fabian en femme de consul capricieuse et sans scrupule,Paul Préboist désopilant en gardien du lion Lucien,qui décrit en détail les repas humains de son protégé,l'étrange Daniel Emilfork en eunuque de la reine,avec son physique et sa diction si particuliers et Yanne lui-même en chauffeur de taxi.Et des apparitions du chanteur-acteur Philippe Clay en héraut des Jeux,de Michel Constantin en gladiateur,du jazzman Moustache en émir,de l'animateur radio José Artur en patron de night-club homo,de Léon Zitrone et Yves Mourousi qui s'auto -parodient en reporter et en présentateur du JT.Valérie Mairesse passe en vitesse en prostituée mais aura sa revanche l'année suivante en retrouvant Coluche dans "Banzaï",avec le premier rôle féminin.Parmi les commerçants on remarque le noir Ibrahim Seck,un des rares à l'écran à cette époque,et le méconnu Lionel Rocheman,chanteur,comédien,musicien et producteur de l'émission télé "Epinettes et guimbardes",dédiée aux instruments de musique anciens.Il fut aussi un comique juif de one-man show mais ce créneau était plutôt occupé par Popeck.Yanne n'a pas oublié ses vieux potes et a confié des rôles à Paul Mercey et Lawrence Riesner avec qui il a joué sur scène de fameux sketches,notamment "Les routiers" pour le premier et "Le permis de conduire" pour le second.Seule ombre au tableau,la catastrophique Mimi Coutelier en Cléopâtre.Elle est bien jolie mais jouer plus faux que ça parait impossible,c'est un massacre incroyable.Il est évident qu'elle ne doit son engagement qu'au fait d'être la compagne de Yanne,qui l'a dirigée dans trois des quatre films constituant sa brève carrière.Par contre elle est costumière du film et se révèle en ce domaine nettement plus douée que pour la comédie.