Certains signes ne trompent pas : Desplechin a brillé par son absence lors du précédent festival de Cannes. Généralement habitué à la Compétition, on pouvait au moins s’attendre à le voir présenté dans les sélections parallèles, mais il semble que sa dernière livraison n’a pas convaincu les sélectionneurs. Sorti presque en catimini, Deux pianos est presque un non-événement, accompagné par une bande-annonce se noyant dans la masse des mélos français, de quoi éclipser l’audacieuse et passionnante filmographie de son auteur.


Il faut bien reconnaître que cet opus restera mineur dans son œuvre, même si l’on voit bien que le casting des nouveaux venus y trouve une opportunité de se frotter à une nouvelle étape en matière d’interprétation viscérale. Si Nadia Tereszkiewicz poursuit une ascension assez logique, François Civil explore un terrain moins familier et ne démérite pas dans ce défilé de relations complexes, que ce soit avec un amour de jeunesse ou un mentor dévorant, incarné par une Rampling qui s’en donne à cœur joie. Le seul fidèle de retour, Hippolyte Girardot, ajoute à la partition cette folie fantasque coutumière de l’écriture du cinéaste, où le pessimisme s’éructe dans de grandes phrases solaires et ostentatoires.


Deux pianos est un pur film de Desplechin, recyclant toutes ses obsessions sur l’amour passionnel, la haine qui dévore les individus, le deuil, la reconstruction et les adieux. On y retrouve cette insupportable et fascinante contradiction de personnages incapables de démêler clairement leurs désirs, leurs craintes, leur idéal de leur égoïsme. La métaphore de la musique pour poser une partition échevelée sur ces échanges ne brille pas par son originalité (le film est d’ailleurs « dirigé par Arnaud Desplechin »), suivie par une caméra à l’épaule un brin poussive.


Les principes esthétiques habituels, comme les cuts dans les dialogues, dans un héritage très net de la Nouvelle Vague, semblent ici en pilotage automatique, et certaines répliques de dialogues, assez sentencieuses et très littéraires, ont tendance à plomber le rythme et l’authenticité du récit. Si l'on sait gré à l'auteur de réduire la longueur de son récit, et de clarifier ses enjeux loin de l'opacité de certains opus, force est de constater que cette limpidité confine à l'eau claire.


Difficile de déterminer qui révèle ici sa fatigue : le spectateur familier d’une œuvre qui n’a plus l’éclat d’antan, ou l’auteur qui pourrait, à force d’essorer les mêmes motifs, finir par radoter sur grand écran. Quoi qu’il en soit, le constat est limpide : à l’instar de cette musicienne qui doit quitter la scène, tout le monde vieillit dans et autour de ce film.

Sergent_Pepper
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