Il fallait bien que cela arrive : un jour, John McClane devait trébucher sur son époque. Dans Retour en enfer, quatrième volet de la saga, notre flic en marcel se retrouve parachuté dans une Amérique saturée de claviers, de codes et de hackers au sourire carnassier. À l’heure où le terroriste ne brandit plus une kalachnikov mais une ligne de commande, où les braquages se font derrière des écrans bardés de diodes, McClane débarque comme un disque vinyle dans un iPod shuffle. Et c’est précisément ce télescopage qui fait à la fois le charme et la faiblesse du film : on rit du décalage, mais on sent bien que l’orchestre n’est pas accordé.
Len Wiseman, qui venait de signer la saga Underworld, se coltine ici un héritage trop lourd pour ses épaules. Son style visuel, calibré, brillant comme une pub pour SUV, peine à retrouver la rugosité organique que McTiernan ou même Harlin savaient insuffler. L’action, certes généreuse, vire souvent à la chorégraphie numérique, et l’on s’étonne de voir McClane slalomer entre des pixels qui tiennent plus du jeu vidéo que de la matière brute. Pourtant, dans cette froideur digitale, subsiste un drôle de plaisir coupable : la démesure assumée d’un camion qui défie un F-35 ou la cascade improbable où Bruce Willis se transforme en Bugs Bunny sous stéroïdes. On a envie de lever les yeux au ciel, mais on sourit quand même, parce qu’au fond, c’est aussi pour ça qu’on est venus.
Le cœur du film, c’est ce choc des générations entre McClane et Matthew Farrell, le geek maladroit incarné par Justin Long. Ce duo improbable fonctionne mieux qu’on ne l’attendrait : le hacker bavard et l’inspecteur taiseux avancent en tandem, contraints de s’apprivoiser. Leurs dialogues révèlent la grande idée — souvent inaboutie mais réjouissante — du film : confronter un héros analogique à un monde numérique. McClane n’a pas d’adresse mail, pas de patience pour la technique, pas de filtre non plus. Il tire, il gueule, il saigne, pendant que son sidekick pianote et calcule. Ce contraste donne lieu à des moments de comédie efficaces, même si le film n’exploite pas toujours tout le potentiel ironique de cette confrontation.
Reste que Bruce Willis, malgré la soixantaine approchante, garde une présence magnétique. Plus chauve, plus fatigué, mais toujours traversé par ce mélange d’arrogance et de vulnérabilité qui fait sa marque. Ce n’est plus exactement le McClane d’antan, celui qui râlait en marchant pieds nus sur du verre brisé, mais un héros fatigué qui, contre toute attente, continue de foncer tête baissée. Ses jurons, son humour noir et ses grimaces font oublier la mise en scène parfois trop lisse. Willis parvient encore à humaniser un personnage qui, dans de moindres mains, aurait viré au super-héros générique.
Le problème est que le film manque de méchant digne de ce nom. Timothy Olyphant, pourtant charismatique ailleurs, compose ici un vilain d’une fadeur consternante : froid, certes, mais aussi dépourvu de l’étincelle qui faisait d’Hans Gruber ou de Simon des figures inoubliables. Il est lisse comme une interface Windows : efficace mais sans saveur. Maggie Q, dans son rôle d’assistante glaciale, apporte un peu de style et d’énergie martiale, mais l’ensemble reste trop sage, trop propre, trop « corporate » pour marquer la mémoire. Dans une saga où les antagonistes étaient jusqu’ici des opéras à eux seuls, cette carence pèse lourd.
Visuellement, Wiseman opte pour une esthétique saturée, parfois presque clinique. Les explosions sont impeccables, le montage précis, mais la rugosité a disparu. On ne sent plus la sueur ni la poussière, on sent surtout l’air conditionné. La photographie, lisse et glacée, n’embrasse jamais la matérialité du chaos : les flammes semblent sortir d’une banque d’effets spéciaux, les cascades défient la gravité mais pas le bon goût. Là où McTiernan faisait danser la caméra dans le vacarme d’une ville, Wiseman fige ses images comme dans une démo technologique.
Et pourtant, il y a des fulgurances. La séquence de l’autoroute, aussi improbable qu’amusante, est un pur morceau de bravoure cartoonesque. L’attaque informatique qui plonge les États-Unis dans la panique dessine en creux une angoisse contemporaine : celle d’une société entièrement dépendante de ses réseaux, vulnérable à une panne généralisée. Le film, sans vraiment oser le traiter de front, frôle parfois une satire de l’Amérique paranoïaque post-11 septembre, obsédée par sa propre fragilité. Mais Wiseman n’a ni la malice ni la profondeur pour transformer cette idée en véritable discours. Il se contente d’un feu d’artifice de bits et de balles.
On pourrait voir dans Retour en enfer une sorte de remix mal mixé : la basse grogne toujours (McClane et ses punchlines), mais la batterie a perdu le groove, et le solo de guitare s’étire trop. Pourtant, dans ses moments de surchauffe, le film produit un plaisir paradoxal : voir un cow-boy de chair et de sang affronter des fantômes numériques. Willis incarne encore ce refus de se plier aux logiques froides, et son obstination tient lieu de manifeste : tant qu’il y aura des McClane, il y aura des poings pour répondre aux algorithmes.
Alors oui, Retour en enfer n’a pas l’évidence des trois premiers volets. Il trahit parfois la grammaire de la saga, se vautre dans la surenchère digitale et peine à inventer un méchant mémorable. Mais il garde une étincelle, celle du vieux rockeur qui refuse de quitter la scène malgré un ampli qui crache et une voix qui déraille. Le concert est bancal, l’acoustique douteuse, mais le public tape quand même du pied, par fidélité et par joie de retrouver une mélodie qu’il croyait perdue.