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La très grande force de Dirty Pretty Things est de coudre ensemble une dénonciation sans compromis des conditions de travail que doivent subir les invisibles, c’est-à-dire ceux qui ne disposent pas d’une reconnaissance socio-professionnelle et qui vivent sans papiers tels des animaux traqués par des chasseurs, avec une histoire d’amour magnifique parce qu’en constante retenue : Senay et Okwe s’aiment à distance, dans la fuite qui les rend étrangers au pays dans lequel ils sont contraints de travailler ; leur amour prend racines dans le mouvement, un nomadisme teinté de vertige et de peurs. Et ce n’est qu’à l’aéroport, à terme, que les lèvres murmureront de façon inaudible le doux et secret langage du cœur, un « je t’aime » que l’on devinait, que l’on espérait, qui ne venait pas.


La réalisation de Stephen Frears est digne d’intérêt puisqu’elle a recours aux codes esthétiques chers au cinéma anglais indépendant – on pense par exemple à Danny Boyle – pour mieux les raccorder à leur valeur de contestation politique essentielle : la caméra ne tient pas en place ou alors se pose au niveau du visage de Okwe comme pris en étau dans un environnement dont il porte le costume et les couleurs. Entre mouvement et immobilité, le film traduit par l’image la détresse affective des protagonistes principaux, écartelés entre leur projection vers un ailleurs et l’invalidation progressive de l’accession à celui-ci en raison d’une butte contre le réel. Les rêves n’ont de cesse de s’évanouir, la danse orientale dans le petit studio est stoppée par l’immersion brutale de deux agents de l’immigration, les défilades de manteaux et autres vêtements servent de cachette aux viols du gérant. Deux tonalités prédominent ici : le gris des immeubles et de la vie extérieure londonienne, le rouge de l’hôtel et des organes retrouvés ou prélevés dans les chambres.


Avec Dirty Pretty Things, Stephen Frears brosse le portrait méconnu d’une Londres terre non pas d’exil mais de transit et d’asservissement, un lieu de passage qui brassent les nationalités et où règnent cruauté et bassesses. Il a surtout l’intelligence de dévier la complaisance dans les sévices endurés en construisant une relation amoureuse empêchée mais bien décidée à résister, à se battre contre vents et marées, acte de foi en l’humanité que le cinéaste défend dans toute sa filmographie.

Créée

le 15 mars 2020

Critique lue 207 fois

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