La vengeance est un plat qui se mange froid. Le plat peut être cependant copieux et fin, satisfaire les appétits voraces et insatiables des gourmands comme flatter le palais des gourmets exigeants et raffinés. Compte tenu d’un de ses axes majeurs, filer la métaphore gastronomique semble tout à fait approprié pour aborder Django Unchained, le dernier long-métrage de l’américain Quentin Tarantino. Un film qui tient donc à la fois du (grand) spectacle et du divertissement (les Américains utilisent pour cela le terme ‘entertainment’) et de la réflexion sur la condition noire à l’époque de la guerre de Sécession (l’action se situe deux ans avant son déclenchement) et de l’esclavage.Le film se divise en trois parties. D’abord, l’association entre le lettré Docteur King Schultz qui fait l’acquisition de l’esclave Django afin qu’il l’aide à mener à bien sa mission de chasseur de primes. Puis l’opération organisée au domaine de Candyland pour obtenir l’affranchissement de la femme de Django. Enfin un troisième segment plus court dans lequel Django, resté seul, ficelle son plan et fourbit ses armes pour assouvir sa soif de vengeance et instiller dans le cœur de ses congénères opprimés et humiliés l’envie d’émancipation et de liberté.

On serait tentés d’annoncer que Django Unchained est un film très américain et par ailleurs antiaméricain. Il épouse en les renouvelant, les rajeunissant et surtout en y imprimant la patte aisément reconnaissable du réalisateur de Reservoir Dogs les codes du western qui ont toujours véhiculé une certaine idée de la mythologie états-unienne : grands espaces, héros solitaires, défense de certaines valeurs. Hélas ces valeurs, pour fortes et louables qu’elles soient, sont violemment battues en brèche par l’oppression cruelle et infinie de l’homme blanc face aux Noirs – et il en est de même face à la communauté indienne. Quatre-vingt ans avant les Allemands – et la nationalité du Docteur King Schultz n’est bien sûr pas anodine – les Américains blancs réservent à peu près le même sort – à moindre échelle, avec d’autres moyens mais dans une idée tragiquement identique de la supériorité d’une catégorie humaine – que les nazis infligeront aux Juifs. En ce sens, Django Unchained pourrait constituer la seconde partie d’un diptyque inauguré avec Inglorious Basterds sur la vengeance des opprimés face aux oppresseurs. En s’intéressant d’abord à l’histoire plus récente et européenne, le réalisateur de Boulevard de la mort semblait encore se tenir à distance de l’histoire également tâchée et pleine d’ombres de son propre pays. Dès lors qu’il décide enfin de s’y coltiner, la charge est lourde et sans appel, entièrement résumée dans la réplique de Django au sadique Calvin Candie livrant un de ses esclaves à la meute de chiens féroces : « Le Docteur Schultz ne supporte pas bien cette scène, car contrairement à moi, il n’est pas américain ». Formule lapidaire et laconique qui suffit à elle seule à situer le film.

Si la mise en scène de Django Unchained est soignée, sans être révolutionnaire, traitant avec le même décalage ironique et (presque) irréaliste la violence, les dialogues en sont particulièrement brillants, jouant sur plusieurs langues : anglais, allemand et même quelques mots de français. Le deuxième chapitre du film se déroule essentiellement dans la demeure luxueuse du propriétaire de la plantation, lieu des négociations d’affaires complexes et entremêlées. Les textes raffinés et érudits, paradoxalement incongrus dans un monde de brutes épaisses, sont portés par un quatuor de comédiens hors pair : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio et Samuel L. Jackson défrichent avec délectation et pour notre bonheur des partitions virtuoses. Tandis que l’émotion pointe parfois le bout de son nez, c’est surtout une jubilation contagieuse et croissante qui envahit le spectateur, emporté dans un flot de trouvailles, de clins d’œil et de références. Par exemple, la séquence désopilante de l’attaque des hommes encagoulés dans des sacs peu pratiques. Et l’idée que le cinéaste lui-même dans une courte apparition choisisse de se faire dynamiter est très croustillante et illustre bien le rapport osmotique que Quentin Tarantino entretient avec le septième art, ici plus précisément le genre des westerns spaghetti et ses grands maîtres comme Sergio Leone ou Sergio Corbucci (avec bien sûr le choix du nom Django). Enfin, l’emploi d’une bande originale anachronique et survoltée achève d’émerveiller le spectateur qui, au final, n’aura pas vu passer les 160 minutes de Django Unchained, film véritablement déchainé.
PatrickBraganti
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le 22 janv. 2013

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