Quentin Tarantino signe avec Django Unchained son meilleur film depuis Jackie Brown: un régal de cinéphile qui fait attention à mesurer ses effets, des dialogues ciselés, à mille lieues des facilités pénibles de Boulevard de la mort, des acteurs au sommet, et une des scènes comiques les plus mémorables depuis fort longtemps. Le Tarantino que l'on aime, un cinéaste passionné en pleine forme et non juste l'égérie de ses fans.

Quel plaisir cela fait de retrouver Quentin Tarantino avec un film qui tient de nouveau la route, s'attardant sur le cinéma et non les attentes de ses aficionados. Un artiste se doit d'écouter ses admirateurs autant que ses détracteurs, mais ne doit jamais céder à faire ce que l'on attend de lui. Il perdrait sa personnalité. Après son chef-d'oeuvre Jackie Brown, Tarantino donnait l'impression de ne plus pratiquer son art que pour la seule raison de ne pas décevoir ses fans. Cela a donné naissance à Kill Bill, un melting pot assez indigeste de tout ce qui plaît à son auteur. On a trop vite érigé ce diptyque en monument uniquement parce qu'il était l'oeuvre de son réalisateur et non pour ce qu'il est vraiment. On passera très vite sur le catastrophique et pathétique Boulevard de la mort qui souffre d'un maniérisme absolu et ne convainc plus que la garde rapprochée de ses fanatiques, ceux qui lui vouent un culte immodéré quoi qu'il fasse. Puis ce fut le tour de Inglourious Basterds qui, malgré beaucoup de défauts et de tics, montrait une remontée vers un cinéma moins geek.

Avec Django Unchained, Tarantino retrouve enfin tous ses moyens. Tout d'abord son scénario fonctionne à merveille, sans partir dans tous les sens. Il part d'une idée simple et originale. Deux ans avant la Guerre de Sécession, un chasseur de prime allemand, Dr. King Schultz, qui se couvre derrière l'identité d'un dentiste itinérant, et un esclave noir du nom de Django font équipe. En échange de l'identité de trois de ses anciens bourreaux dont les têtes sont chèrement mises à prix, le docteur promet à Django de sortir sa femme, qui parle elle aussi l'allemand, des griffes d'un horrible propriétaire terrien. En partant de cette base, Tarantino signe un film linéaire qui suit cette alliance contre nature, émaillé ça et là par quelques flashes back parfaitement dosés et placés. Django Unchained fonctionne sur les rencontres entre notre duo et les autres, leurs proies, leurs gagne-pain. On pourrait même trouver une structure théâtrale à l'ensemble où les actes seraient les différents endroits dans lesquels se rendent le docteur et Django. Les personnages sont parfaitement cyniques et Tarantino joue à merveille sur l'adage trop poli pour être honnête. Il sertit ses dialogues de formules alambiquées très souvent hilarantes. On est au spectacle et le réalisateur dispose d'outils extraordinaires pour s'amuser et divertir, et avant tout d'un casting trois étoiles.

Commençons par le héros du titre. Django c'est Jamie Foxx et il a la tâche de faire vivre le personnage le moins truculent de l'histoire, mais au fur et à mesure que le film avance il retient les leçons de son sauveur et mentor, Schultz, devenant aussi cynique que lui, mais il fait passer ses sentiments et ses humeurs par son regard et sa gestuelle. Il porte même fièrement une livrée de valet bleue sans que ce ne soit le ridicule qui provoque les rires de l'assistance. Et c'est d'ailleurs l'un des tours de force de ce film très drôle: on ne rit pas au détriments des personnages, mais avec eux. Le film regorge d'invités dont on retiendra surtout la prestation de Don Johnson en propriétaire sudiste. C'est grâce à son personnage que l'on a droit à la séquence la plus hilarante qui le met en scène au milieu d'un groupe d'énervés qui préfigure ce que l'on appellera au sortir de la Guerre de Sécession le Klu Klux Klan: un gag énorme et pertinent qui rentrera dans les annales de la comédie au cinéma. Le grand méchant du film, c'est Leonardo Di Caprio, alias Calvin Candie, un marchand d'esclave très fortuné que l'on doit nommer Monsieur Candie car il est passionné par la culture française. Le comédien, que ses détracteur n'aiment pas uniquement à cause de son visage qu'ils jugent poupin, fait des merveilles. Il use diaboliquement de son sourire carnassier subtilement taché par des marques de tabac. Il est l'image même du personnage qui possède le pouvoir et en abuse à tort et à travers. Autant dire qu'il est susceptible et qu'il réagit souvent comme un enfant trop gâté. Il est juste impeccable de bout en bout et prouve encore une fois qu'il fait partie du haut du panier de sa génération. Son valet est incarné par un Samuel L. Jakson au sommet de son art. Il joue un esclave de maison fayot, entièrement dévoué à son maître. Il incarne un être veule qui se place toujours du côté du pouvoir, quel qu'il soit, un opportuniste de haute volée. Et enfin il y a l'excellent Christoph Waltz, un acteur instinctif de très grande classe, réussissant toujours à se fondre complètement dans ses personnages. Le Dr. King Schultz, magnifiquement écrit, parle avec un accent allemand, est très bavard et déterminé. Toujours poli et aimable il cache son jeu par son panache exacerbé qu'il utilise pour se sortir de toutes les situations, même les plus scabreuses.

Bien qu'il ait recours à de nombreux effets chers aux westerns spaghetti comme les zooms avant ou arrière très rapides accompagnés d'une intervention musicale comique, les ralentis, les très gros plans ou les geysers de sang, Tarantino n'en abuse pas et parvient toujours à placer ses effets au bon endroit et au bon moment. Son choix musical donne logiquement la part belle à Ennio Morricone et Luis Bacalov. Robert Richardson signe une photographie magnifique avec ce don particulier qu'il a de rendre les blancs aveuglants. Le montage de Fred Raskin est lui aussi remarquable car il ne cherche jamais à se mettre en avant, il se pose ou s'emballe judicieusement. Il atteint son apogée dans la fusillade de la propriété de Calvin Candie. Au final Django Unchained est un véritable régal, qui ne sombre jamais dans la prétention, et une oeuvre comique mémorable. Un très grand millésime.
RemyD
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le 28 juin 2013

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