Support: Bluray


Le traitement de véritables tueurs en série est toujours hasardeux, pouvant facilement basculer dans l’outrance via une complaisance dans le morbide. Il s’agit donc de trouver le bon angle d’attaque pour livrer le message qui sous-tend le projet. M’est avis que Christian de Chalonge a réussi, et ce dès l’introduction qui consiste en une mise en abyme cinématographique, alors que le film s’ouvre sur Docteur Petiot dans une salle de cinéma, pour planter le cadre en diffusant les actualités avant l’oeuvre qu’il est venu voir : dans un premier temps avec légèreté (le segment sur les vélos-taxis parisiens, dont l’amusement initial sera par la suite teinté lorsque Petiot fera usage de ces véhicules comme de funestes chars), puis avec gravité (la propagande nazie sur le péril juif, qui trouvera son écho dans cette future victime juive convaincue qu’elle est physiquement différente de par sa foi). Une mise en abyme de l’horreur de l’histoire dans l’horreur de l’Histoire, faisant immédiatement du Docteur un monstre parmi les monstres. Cette introduction percutante continue le filage en faisant dérouler le générique alors que le docteur Petiot s’est levé face à l’écran, renvoyant son ombre face au vampire du film projeté (un ersatz de l'expressionnisme allemand inventé pour l’occasion) et citant ainsi ouvertement le Nosferatu de Murnau. Le docteur pénètre alors la toile, et Christian de Chalonge annonce alors le traitement fictionnel de l’histoire du tueur. En cinq minutes de temps, les ambitions de l'œuvre sont affichées de la plus efficace des manières.


Et c’est bien par cette approche surréaliste que l'œuvre va faire son trou. Les influences et citations sont multiples : de l'expressionnisme allemand à la Hammer (dixit ce paysage sonore fait de scies musicales et de lames que l’on aiguise, ainsi que l'humour macabre omnipérsent), en passant par les monstres de Universal.

Outre la figure évidente du stryge (jusqu’à Serrault qui vampirise toute l’attention dans son jeu qui mêle cabotinage du détachement et sinistre folie ponctuée de rires et cris sardoniques), on va convoquer une pelleté de monstres mythiques du septième art.

Comme cette scène où le tueur flotte dans les rues sombres, cape au vent dans des artères embrumées qui rappellent le smog victorien dans lequel sévit Jack l’Eventreur.

Comme cette ritournelle chantonnée par le Docteur fait invariablement penser au sifflement qui signe les méfaits de M le Maudit.

Comme la figure du scientifique fou qui fantasme sur des inventions de mouvement perpétuels sur base de pompes fécales, ses yeux crayonnés de noir tels ceux du Docteur Mabuse.

Comme sa disparition de la circulation qui en fait un écho l’Homme Invisible

Ou encore le paradoxe du personnage. De jour, son aspect bourru ne l’empêche pas de se soucier du bien être de sa patientèle, de prendre des risques en délivrant des certificats d’inaptitudes à des jeunes qui cherchent à fuir le travail forcé en Allemagne, ou d’aider pro-bono la veuve et l’orphelin. Mais quand vient la nuit, c’est à Mister Hyde de sortir.


Enfin, il y a tout le pan qui donne son surnom de Docteur Satan à l’homme, alors que celui-ci prodigue un aspect rituel à ses meurtres, avec le tango, le grimage de ses victimes, et le discours sur les contrées lointaines (Casa, Dakar, Buenos Aires...). Les pauvres hères sont sacrifiés sur l’autel de sa chaudière, une porte des enfers en quête d’âmes pour se repaître. Docteur Satan naît, mais les véritables seigneurs du pandémonium sont fourbes et finissent par trahir l’assassin.


On peut regretter que le film épuise rapidement ses effets avant de rentrer dans une certaine routine. Et si l’effet de scènes en miroirs (consultations au cabinet, puis au chevet de la fillette, et meurtre la nuit tombée) est de toute évidence volontaire, il n’empêche pas un sentiment de redondance. De même que certaines images sont un peu lourdes, tel cet ange en carton qui tombe des échafaudages alors que Petiot annonce à des parents l’arrestation de leur fille par la Gestapo. Mais la thèse est soutenue de belle manière, la forme étant toujours au service du fond, alors que par deux fois de Chalonge fait écho à son introduction:


D’abord lorsque l’on revient dans la salle de cinéma pour signaler l’arrêt forcé des activités meurtrières de Petiot via un flash info. Le présentateur qualifie alors le docteur de “plus grand assassin du siècle” dans une ironie mordante au vue de la botte allemande qui sévit sur l’Europe. Une ellipse et nous voici dans le Paris libéré, avec des couleurs qui ont repris leur place tandis que la réalité reprend le dessus et que notre protagoniste continue à assouvir ses bas instincts via la torture, en tant qu’officier de la Résistance, sous une nouvelle identité, faisant de lui le parfait monstre métamorphe.

Une seconde fois alors que Petiot est démasqué, à cause de son ego. Il tente alors de fuir à travers la toile du cinéma, mais il est dans le réel, et ne fait que s’écrouler derrière l’écran. Ses pouvoirs et sa mystique lui sont ôtés, il n’est plus que le misérable homme aux milles crimes. L’horreur est finie, la fiction également.


S'ensuit alors le terrifiant inventaire d’une carrière où seule l’odeur des disparus peut les ramener. On convoque les images des camps, avec ces amoncellements d’effets personnels. On se remémore alors la scène de décadence où nazis et collabos se livrent à une orgie dans les bois, symbole de la déliquescence d’une société sans repères dans laquelle peut tranquillement se lâcher le monstre, comme si son existence était justifiée par le contexte (cf Monsieur Verdoux ou L’Assassin habite au 21). Après tout, Petiot produisait à son échelle le même processus qui attendait les millions de déportés : ciblage ethnique, gazage, puis incinération. Mais la folie du personnage passe inaperçu dans un pays à l’esprit morcelé par la paranoïa et les horreurs quotidiennes. Il faudra que les cendres du conflit retombent pour qu’il paraisse enfin suspect. Il faudra que l’on découvre le sort des déportés pour réaliser l’ampleur de la tragédie.


Créée

le 1 avr. 2025

Critique lue 10 fois

Frakkazak

Écrit par

Critique lue 10 fois

D'autres avis sur Docteur Petiot

Docteur Petiot
SB17
8

Dr. Petiot & Mr. Serrault

Retour sur ce très bon film de Christian de Chalonge avec l'immense Michel Serrault, totalement habité par son rôle. Un biopic surréaliste sur l'un des plus grands serial-killer français, Eugène...

Par

le 11 avr. 2021

9 j'aime

6

Docteur Petiot
Tom_Ab
7

Docteur, Résistant, faussaire, cleptomane et meurtrier

Le film est glaçant à plus d'un titre puisqu'il est tiré d'une histoire vraie, quasiment invraisembable, démente, sidérante, celle du docteur Petiot, médecin généreux d'apparence, toujours prêt à...

le 19 sept. 2017

8 j'aime

2

Docteur Petiot
greenwich
8

Docteur Petiot (1990)

Le film est inspiré très librement de faits réels. Ce n'est pas une reconstitution précise des faits mais le docteur Petiot a bel et bien existé. Durant l'occupation il a assassiné au moins 27...

le 29 juil. 2014

8 j'aime

1

Du même critique

KPop Demon Hunters
Frakkazak
4

Into the Consumerverse

Je dois admettre qu’au vu de l’affiche et du titre, il y avait peu de chances pour que je sois le public. Mais à y regarder de plus près, à y voir Sony Pictures Animation et des premiers retours...

le 26 juin 2025

39 j'aime

8

Assassin's Creed: Mirage
Frakkazak
4

Mi-rage, mi-désespoir, pleine vieillesse et ennui

Alors qu’à chaque nouvelle itération de la formule qui trône comme l’une des plus rentables pour la firme française depuis déjà quinze ans (c’est même rappelé en lançant le jeu, Ubisoft se la jouant...

le 10 oct. 2023

22 j'aime

2

Captain America: Brave New World
Frakkazak
2

Mou, Moche et Puant

Il était couru d’avance que Brave New World serait une daube. De par la superhero fatigue qu’a instauré la firme de Mickey par l’amoncellement de produits formaté sur les dix-sept dernières années...

le 10 mars 2025

21 j'aime

7