"Ouh la la c'est la décadence" version progressiste responsable : savoureux défouloir !

Dans les deux cas le laisser-aller et la complaisance l'emportent, mais le cynisme vaut mieux que le désespoir (et dans ce qui relève de la SF ces dernières années, le désespoir est roi – marié à la dépression, avant avec Soleil vert par exemple c'était plutôt à l'angoisse ou la colère, donc tout n'était pas tellement perdu). Si le cinéma doit être responsable et constructif, certainement ce bout-là est indigne, c'est même une tromperie. La posture anti-establishment (le fils de la présidente est un Trump sadique, le gourou ressemble trop à Sleepy Joe pour que ce soit un hasard) peut sembler opportuniste ou insuffisante. Si vous attendez plutôt un reflet satirique, caricatural avant d'être fantaisiste, de la réalité, vous serez servis.


Seul le trio au pouvoir est excessif (avec ce duo présidentiel digne d'un mix Dumb & Dumber et Absolutely Fabulous), le reste ressemble à notre quotidien : le poids des 'influenceurs' aussi acculturés que leurs influencés, les flux médiatiques bipolaires et prescripteurs agressifs mais inconséquents, la transformation de tout en spectacle et affichage de vertu jusqu'à cette performance absurde d'Ariana Grande, l'esprit boutiquier et consumériste des élites. Puis il y a les fondamentaux propres à toutes les époques : la déférence débile envers les stars, les supposées sentinelles de la société absorbées par des querelles d'ego. Même si on fait partie de ces odieux refusant de paniquer face au déferlement du réchauffement climatique, on peut apprécier ce portrait de l'époque.


La seule chose réellement gênante avec ce film est la confiance accordée aux experts (et le mépris systématique envers ce qui s'en écarte). Ils peuvent être corrompus ou substitués [directrice de la NASA], mais le film omet la possibilité d'un esprit sectaire désintéressé ; il navigue sur ce mirage des chercheurs et 'sachants' pénétrés de compétence pure et d'objectivité. Bien sûr ils sont faillibles (elle est dépassée par ses émotions [ou fougueuse, car émotif on le serait pour moins qu'une fin du monde qu'on se sent seul à préparer], il est le nerd sensible aux charmes terrestres et mondains qu'on lui accorde enfin), mais ils sont à la fois la véritable élite et le peuple responsable.


D'ailleurs tout le monde n'est pas mêlé à la boue et à la fin les apôtres de la justice sont réunis pour l'heure de la révélation. Même sans eux, la conclusion aurait eu un goût douloureux, un peu comme celle de Six feet under ; elle fait sentir l'éventualité de l'extinction de tout, l'urgence de vivre et d'agir, avec cette pression de fond dépressive qui a un goût de shoot définitif – un définitif dont l'acidité sera atténuée avec une blague à base de Bronteroc. Un définitif d'autant plus ferme mais digeste qu'il est trop tard pour éviter la catastrophe. La purification par l'atome pourrait nous permettre de sauter à l'étape finale bien avant la noyade du dernier ours blanc ; mais cette stupidité et ce court-termisme généralisés causes du crash fatal sont ceux de l'Occident, pas de la planète entière. D'ailleurs le film le reconnaît puisque les contributions des trois grandes puissances 'alternatives' (la province UE n'en fait pas partie) sont refusées – au bénéfice de la poursuite du profit par un capitaine d'industrie local ; restons auto-centrés, désormais pour se blâmer, histoire de compléter la symptomatologie de la désintégration en cours.


C'est donc naturel de sortir frustré de Don't look up pour des raisons de fond ou de politique. Don't look up est un film d'idéaliste et apôtre désenchanté de la technocratie ; sa version à l'optimisme intact serait au mieux un documentaire écolo avec une pu-pute de luxe pontifiante en guest et un agenda niaiseux fait de broutilles, au pire un tract effrayant. Heureusement le torrent décadent emporte aussi les rédempteurs de l'Humanité sur son passage ! Ce que le film omet aussi, c'est qu'une récupération réussie des diagnostics scientifiques ne soit pas si bénéfique ; le statut quo là-dessus est dans l'intérêt de tous, il vaut peut-être mieux ne pas envisager les douleurs du progressisme – et s'amuser de notre présentisme. C'est donc d'abord une comédie pachydermique sur la victoire de l'entropie, un Idiocracy en phase avec la réalité, où l'intelligence est vaine et submergée plutôt que disparue ; où Jonah Hill nous gratifie de laïus d'happy few droitard à encadrer et Meryl Streep surprend dans un costume de yes-woman dépravée jubilatoire.


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Zogarok

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