Il était difficile bien sûr, à moins de le vouloir très fort, et à moins de le faire exprès, de faire plus maladroit que le Dune mastoc, mais attachant et idolâtré par quelques irréductibles, de David Lynch dont on sauvera, quand même, plusieurs visions hallucinées (le Navigateur de la Guilde spatiale, le Baron Harkonnen…) propres à son univers tourmenté et fou, et seul véritable incident de parcours au sein d’une filmographie tutoyant, faut-il le rappeler, le sublime. Denis Villeneuve, devenu désormais une valeur sûre auprès des moguls hollywoodiens, et après s’être honoré, avec succès pour beaucoup, de la suite de Blade runner, pourtant pataude et désincarnée pour certains, s’est donc retrouvé aux commandes de cette nouvelle version cinématographique, en deux parties, du monument littéraire de Frank Herbert réputé inadaptable, et dont il est grand fan depuis longtemps.


L’enjeu était évidemment de taille, voire colossal, du moins au niveau de la planète cinéma : parvenir, après l’échec cuisant de Lynch et le rêve avorté d’Alejandro Jodorowsky (sans oublier la mini-série kitchissime de John Harrison), à s’approprier de fond en comble l’œuvre culte, l’œuvre monde d’Herbert. De ses intentions les plus générales (tragédie familiale et de pouvoir en forme de space opera) à ses nombreux sous-textes, politiques, philosophiques, religieux et écologiques, que l’on pourra facilement rattacher à nos désordres actuels (oppressions des peuples, exploitation des richesses naturelles, dérives théologiques…), en passant par la reconstitution parfaite, irréprochable même, d’images devenues emblématiques, indissociables du mythe qu’elle a su créer (les vers de sable, l’épreuve du Gom Jabbar, le Baron Harkonnen, la bataille d’Arrakis…).


Ce que Villeneuve et ses collaborateurs (un tel projet est forcément commun, repose sur une somme inouïe de talents) ont su comprendre, entreprendre, et surtout réussir. Pour ça, et c’est sans doute ce qu’il y a de plus marquant ici, le film refuse tout spectaculaire et tout empressement. Dune est, c’est incontestable et cela ne pourrait passer une seule seconde pour un défaut, un film en mode low. Presque contemplatif. Si l’on excepte deux séquences où l’action soudain se déchaîne (l’attaque du ver de sable et l’invasion d’Arrakis), il privilégie constamment les ambiances, les dialogues, les silences aussi et les tourments existentiels qui habitent, et les choix qui déterminent chaque protagoniste.


La direction artistique va de pair avec cette volonté de sobriété laissant le temps à la narration pour estimer, et mettre en valeur, les enjeux et les conflits en cours qui ne manqueront pas, dans le deuxième opus, de s’emballer et de chambouler, on le sait, l’équilibre de l’Imperium, ce vaste empire qui s’étend sur des centaines de mondes dans la galaxie. Ici pas question de zèle, de tape-à-l’œil : les décors sont majestueux mais épurés (tout comme le design des différents vaisseaux spatiaux), magnifiant lignes et perspectives, textures et matières, et jusqu’à celles des nombreux paysages naturels (mer, déserts, montagnes…), et baignés de lumières tantôt chaudes, tantôt sépulcrales. Villeneuve les investit comme des espaces mentaux ou des tombeaux, y place ou y perd ses personnages se livrant à d’incessantes luttes d’influence ou contre eux-mêmes.


Et si frustrations il y a, elles tiennent à deux choses. D’abord celle concernant les apparitions saisissantes (comme chez Lynch d’ailleurs), mais malheureusement trop rares, du Baron Harkonnen que Villeneuve filme comme une authentique figure du Mal, suprême et terrifiante (avec, au passage, un clin d’œil au colonel Kurtz d’Apocalypse now), mais sans jamais caractériser un tant soit peu son aura et sa personnalité, pourtant fascinantes (tout comme sa relation avec Piter de Vries, son conseiller et "mentat tordu"). Harkonnen restera donc une simple représentation maléfique, et non cet être complexe et torturé tel que l’avait imaginé Herbert. Espérons qu’il sera davantage présent, et mieux développé, dans la seconde partie.


Ensuite celle, plus problématique, du manque d’émotions émanant de l’ensemble. C’est beau, Dune, c’est passionnant, ça en impose, mais tout est figé, comme engoncé dans une solennité et une raideur desservant, trop souvent, la moindre empathie (par exemple quand meurent plusieurs personnages, et quelle que soit leur importance, dans une indifférence disons polie). Et doit-on cela, en partie, à des interprétations pour la plupart mono-expressives (seule Rebecca Ferguson bouleverse et éblouit dans le rôle de Lady Jessica Atreides, sachant exprimer, parfois dans un simple regard, toute l’âpreté de son destin et tout l’amour pour son fils), figées elles aussi dans cette gravité qui paraît faire autorité, unique intention ? C’est donc ainsi. Dune pèche par excès de sérieux, et il faudra bien s’y résoudre : l’écrin est superbe, mais l’émoi sapé.


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mymp
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le 17 sept. 2021

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