Portrait d'un monde médical de plus en plus déserté à cause de ses fissures, En première ligne suit le service d'une infirmière surmenée, faute d'effectif et de situations complexes survenant de façon simultanée.


Dès la scène d'introduction, les travellings multiples dont use avec virtuosité la réalisatrice Petra Biondina Volpe m'intègrent en tant que spectateur dans cet hôpital en sous effectif net. Dès son arrivée, l'infirmière doit prendre un poste où les tâches ne sont pas toutes finalisées tout en veillant à s'occuper des patients de façon tant optimale que bienveillante comme le dicte sa déontologie. Suivre ces 8h sur un condensé de 1h30 n'était pas une tâche aisée : pourtant, l'éventail de situations présentées est d'un réalisme narratif absolument bouleversant.


Il est impossible de faire un stage ou de passer dans un service sans entendre "je vous attends depuis des heures", "on a le temps de mourir 10 fois dans cet hôpital" lorsque les infirmières donnent des soins aux patients : les bénéficiaires se concentrent sur leur nécessité de guérison en oubliant que cette structure de santé est une véritable ruche dont les fondations s'effondrent au moindre manquement. L'infirmière doit alors courir après les médecins fuyant pour donner des résultats d'examen aux patients, aller en chercher au bloc opératoire lorsqu'il n'y a plus de brancardier ou gérer des familles encombrantes qui refusent de laisser la place nécessaire aux soins en cours. Son travail s'étend alors à des fonctions qu'elle ne devrait pas réaliser, sous peine de diminuer le temps auprès des patients, souffrant déjà d'un cruel manque de personnel hospitalier, rappelé avec justesse dans une pancarte simplement informative, et pourtant absolument déchirante.


Ce qui est d'autant plus réaliste avec cette œuvre, c'est qu'elle ne prétend pas imposer le soignant comme un être parfait : la fatigue, le surmenage, les réprimandes mènent à un craquage inévitable conduisant à des erreurs ou à des réponses parfois sèches envers les patients. L'accumulation de chaque situation présentée est rare en un seul service, mais chaque moment présenté à l'écran, je l'ai vécu ou vu de mes propres yeux. C'est là où la performance de Leonie Benesch joue un rôle crucial dans la cohérence du résultat : au-delà de porter la fatigue croissante de son rôle d'infirmière, elle réalise cette succession de gestes avec une précision telle qu'on croirait voir une professionnelle du métier. Tout en menant ses dialogues auprès des bénéficiaires à qui elle doit donner des réponses, des soins ou du réconfort, elle mène un enchaînement technique absolument époustouflant, prouvant un investissement immense dans son personnage.


L'investissement en tant que soignant ne suffit cependant pas toujours à soigner aussi bien que l'on aimerait le faire. Ainsi, le temps passé avec des situations complexes, le manque d'aide dans les services ou les allers-retours inutiles lorsque d'autres ne font pas leurs tâches, mène à une réduction d'efficacité lors de la réalisation des tâches fondamentales, dispersées dans un nombre de requêtes absolument démesuré. L'émotion surgit alors dans les failles du métier de soignant, ne pouvant accumuler toute la tristesse des maladies graves de ses patients, les contrariétés des réflexions déplacées mêlées aux souffrances de la vie personnelle, sans faillir à sa mission. Mais peu importe la réussite ou la déception, l'infirmière suivie se relève que ce soit face à un patient bourgeois dictatorial, face à une patiente ne respectant pas son protocole de soin, ou face à la formation d'une étudiante inévitablement perdue au milieu de ce secteur défaillant. Derrière ce constat absolument bouleversant lorsqu'on le fréquente, c'est une lettre d'amour adressée aux infirmières qui surgit, pour les féliciter d'un travail absolument colossal, injustement déprécié par la société capitaliste.


Visionner En première ligne, c'est comme visionner un documentaire sur le monde infirmier : les situations sont stressantes de complexité, éprouvantes par l'histoire difficile des patients, ou fatigantes par leur nombre, mais chaque professionnel de santé se donne pleinement dans sa fonction pour permettre à chacun une guérison aussi efficace que possible. Le réalisme est certes narratif, mais s'étend dans une technique cinématographique impressionnante, tant de la part de l'actrice pleinement investie que de celle de la réalisatrice usant de travellings particulièrement immersifs dans cet hôpital en sous effectif. Parfois, c'est bien la vérité qui bouleverse plus que la fiction : et ce film en est la preuve même. Alors, si vous avez été angoissé, bouleversé, voire ému aux larmes pendant votre visionnage, imaginez un instant les infirmiers vivant tout cela au quotidien.

Franchooouuuille
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le 1 sept. 2025

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