Connu pour son très bon Incendies et son excellent Prisoners, Denis Villeneuve signe avec Enemy son meilleur film, son plus complexe et déroutant qui demandera de la patience et de la réflexion pour être correctement déchiffré. Tourner un peu avant Prisoners, il ne sort que maintenant en France, environ un an après ce dernier avec Jake Gyllenhaal encore une fois en tête d'affiche. Il est ici excellent comme à son habitude livrant deux performances contraires mais pourtant semblables avec beaucoup de justesse et il hante le film de sa présence magnétique et inquiétante. Il est d'ailleurs soutenu par un casting exemplaire mais restreint, n'ayant pas beaucoup de personnages dans l'intrigue et on retiendra une Mélanie Laurent ayant enfin appris à jouer et une Sarah Gadon saisissante.
Pour ce qui est de l'intrigue, elle est savamment orchestré, le scénario étant un puzzle que le spectateur devra assembler et interpréter car le film est extrêmement exigeant, ils vous donnera des clés pour le comprendre mais jamais d'explications claires et parfois même il s'amusera à vous donnez des fausses pistes. Le scénario sera d'ailleurs assez cloisonné dans l'unité de lieu et de personnage, ni l'un ni l'autre ne seront nombreux dans le film ce qui instaure un schéma de huit clos. D'ailleurs le film sera très schématique comme expliqué dans le cours du personnage, tout est une question de schéma et d'ailleurs la plupart des clés pour déchiffrer le film seront dans ses cours et les inscriptions sur le tableau ne seront d'ailleurs pas anodines. Ce qui fait que le spectateur doit constamment être sur ses gardes et il ne doit laisser passer aucuns détails et faire attention à ceux qui induisent en erreur. Car même si le film est cloisonné dans l'espace, il ne l'est absolument pas dans le temps, les événements que l'on voit dans le film ne se passe pas nécessairement au moment ou on les vois, ce qui permet d'ailleurs au film d'avoir un twist relativement brillant. Donc comme le dit si bien la phrase qui ouvre le film, "le chaos est un ordre à déchiffrer" ce qui fait que le film peut paraître chaotique si on se laisse perdre mais il est incroyablement ordonné et contrôlé, des thèmes primordiales qui seront encore une fois illustré dans les cours du personnage, ses scènes peuvent paraître anodines mais c'est vraiment là que toute la compréhension du récit ce trouve. Le film traite donc de la dualité, du mensonge et de l'infidélité car c'est avant tout l'histoire d'un homme qui se ment et qui ment à ses proches pour pouvoir tromper sa femme, se confrontant à ses deux personnalités, d'un côté le mari aimant résolu à être professeur et de l'autre l'acteur raté qui veut qu'on lui prête attention et qui veut plaire. Il avait déjà tromper sa femme avant notamment dans des soirées sordides illustré en ouverture du film et il entame un combat intérieur pour savoir si il va recommencer ou pas et pour perdre le spectateur le film va brouiller les lignes temporelles avec intelligence et faire de chaque petits détails un mystère qui à son importance pour la compréhension de l'ensemble ( la cicatrise ). On est donc en plein dans la psyché du personnage qui se confronte parfois à des visions horrifiques ( un magnifique jumpscare qui se cache dans le film ) ce qui renvoi à deux autres chef d’œuvres psychologiques, le magnifique Donnie Darko et le poignant L'Echelle de Jacob, dont Enemy partage des similitudes qui ne sont sans doute pas des coïncidences. Le film forme une boucle comme un schéma qui ne cesse de se répété ( il commence avec un message téléphonique de la mère et ce clôture sur un appel manqué de la mère ) et comme le film cite Hegel avec pertinence " l'Histoire se répète toujours deux fois: la première fois comme une tragédie; la seconde fois comme une farce" , il ne fait aucun doute que l'histoire va se répété ( surtout avec le mensonge final du personnage ) mais on peut s'interroger sur l'histoire que l'on a vu, est-elle la farce ou la tragédie ?
C'est au final la seule question qui restera véritablement en suspend car là plupart des énigmes du film peuvent trouver leurs explications notamment les symboliques assez grossière de l’araignée ( seul véritable défaut du film qui n'en est pas vraiment un ). Mais cette symbolique permet aussi d'avoir un regard double sur le film comme le personnage qui a un regard double sur sa vie. D'ailleurs l'aspect dualité est traité avec plus d'inventivité et plus de subtilité que le récent The Double. Car on peut voir le film du point de vue de l'homme qui se confronte à lui-même non pas pour ne pas tromper sa femme mais finalement pour trouver une excuse pour le faire, il accepte d'ailleurs cela avec une sorte d'amusement ( la parallèle faite entre le divertissement et la crainte car le divertissement était utilisé lors des dictatures pour embrouiller la population ) traduit par un magistral plan final qui repose sur le jeu impressionnant de Gyllenhaal. Mais on peut aussi voir le film d'un point de vue des femmes et là le film prend encore plus de sens car elle se confronte à la peur qu'elles ont de cette homme manipulateur, menteur et parfois perfide traduit par ce brillant et tétanisant plan qui précède le plan final livrant deux chocs au sein d'une même scène, deux point de vue brillamment amené.
Cela souligne le talent de metteur en scène de Denis Villeneuve qui signe un film formellement superbe avec une photographie sublime et un rythme lent qui instaure une atmosphère oppressante et une ambiance mystique. Il se trouve entre Lynch et Polanski, avec des plans fourmillant de détails et des travellings lents et maîtrisés, il s'impose clairement comme un auteur visuel qui a ses propres tics visuelles et son propre langage cinématographique. Un réalisateur hors norme sur lequel on peut compter à l'avenir qui devrait justifier le déplacement rien que par la présence de son nom. Du moins pour moi il est officiellement un grand !
En conclusion Enemy est un chef d'oeuvre perturbant, complexe et intelligemment construit qui repose sur la force de déduction de ses spectateurs. En ressort un film forcément exigeant mais une fois immergé dans celui-ci on rentre dans un voyage unique et fascinant. Un film de l'étrange qui pourrait devenir culte et côtoyer les grands films du genre comme L'Echelle de Jacob et Donnie Darko.
Frédéric_Perrinot
10

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le 26 août 2014

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Flaw 70

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