Premier long-métrage du réalisateur, Eraserhead est aussi le plus expérimental...

Le film commence sur une scène d'ouverture des plus étranges. On y voit la tête du héros flotter lentement dans l'espace comme une planète à l'abandon suggérant que le film est avant tout un objet mental jouant sur les angoisses de l'esprit qui nous habitent et nous rongent...

Véritable objet d'étude, fruit de nombreuses années de labeur, il incarne toutes les angoisses du réalisateur au travers de scènes jouant avec le clair-obscur, le noir et blanc (référence à Sunset Boulevard apprécié de Lynch) et l'exposition lumineuse des visages par contraste avec des parties entières du décor restées dans l'ombre ...
L'obscur devient un personnage à part entière et matérialise une atmosphère malsaine et glauque dans laquelle se fondent les personnages et les lieux qu'ils habitent... (le film ayant été principalement tourné de nuit)

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L'image du personnage principal (Jack Nance) tour à tour embarrassé, méfiant, apeuré donne au film son caractère humain...
Et tout naît de ce contraste entre l'homme pris dans sa pleine humanité et ses angoisses matérialisées par un enfant difforme...

Car ce sont bien d'angoisses dont il s'agit. Celles de devenir père, d'assumer une paternité non désirée et d'avoir sous sa responsabilité un être difforme, dénué de membres dans l’étouffante atmosphère d’une chambre, pièce unique dans laquelle se déroulent de nombreux plans de l’action...

Mais ce qui marque surtout la première réalisation de Lynch, c’est le remarquable travail réalisé sur le son. Peu de dialogues viennent perturber le silence marqué qui s’instaure dès les premières images et seul un son sourd, comme une respiration, se fait entendre et habite la toile du film, en arrière plan, parfois interrompu brusquement comme pour marquer un changement (de plan, ou de mesure)...
Les temps sont marqués et le tempo des personnages en perpétuel décalage de façon à créer un univers coupé du temps, faisant basculer le personnage principal vers un cauchemar réel...

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Les deux mondes (la réalité et les rêves) apparaissent alors pour la première fois dans un long-métrage de Lynch en symbiose.
Véritable harmonie des sens, ce premier film marque une étape et pose la première pierre d’un édifice qui constituera par la suite l’essence du monde lynchéen... De nombreux éléments, par la suite repris dans ses films, se trouvent déjà dans Eraserhead - la scène de théâtre (que l’on retrouve dans Blue Velvet, Twin Peaks ou Mulholland drive), la difformité des corps (Elephant man - Twin Peaks), et bien sûr l’onirisme ( que l’on retrouve dans tous ses films dont INLAND EMPIRE, Mulholland drive et Lost highway)

Malgré son aspect expérimental, utilisant avec un certain courage des procédés techniques révolutionnaires, Eraserhead est très mal accueilli par la critique...
Après la première mondiale à Los Angeles le 19 mars 1977, Variety écrit qu’il s’agit d’: “Un écoeurant exercice de mauvais goût. Situé apparemment dans un futur apocalyptique indéterminé, Eraserhead montre surtout un homme assis dans une chambre essayant d’imaginer ce qu’il va bien pouvoir faire de son bébé horriblement mutilé. Comme beaucoup de productions de l’AFI, le film a des qualités techniques mais peu de substance ou de subtilité...”
Un avis qui n’est pourtant pas partagé par les producteurs et les directeurs de festival (le film décrochera une antenne d’or et le prix du jury (dirigé par William Friedkin) au festival du film fantastique d’Avoriaz en 1980) ni par les plus grands fan du réalisateur.

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Mais ce qui reste de cet étrange film est surtout une impression. S’il reste majoritairement incompris ou s’il ne parvient pas à toucher l’ensemble de ses spectateurs, le film ne peut laisser indifférent notamment quant à la technique utilisée.

S’il n’est clairement pas mon Lynch préféré, j’aime à lui reconnaître de nombreuses qualités qui en font un film à part, véritable pierre de l’édifice Lynchéen.
J’ai pour ma part beaucoup aimé le rapport qu’entretiennent le réel et les rêves (comme souvent chez Lynch), l’utilisation du clair-obscur et la technique du son, véritable révolution sonore à l’époque...
Je regrette cependant de ne pas avoir été touchée comme dans ses autres films par le thème principal qui est pour moi celui de la paternité et du rejet de l’enfant...
Un film néanmoins à découvrir, indispensable à la filmographie de Lynch et véritable objet d’étude cinématographique...

Créée

le 14 sept. 2013

Critique lue 404 fois

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