Bastien a "presque 14 ans", comme il dit avec un brin de fierté auquel vient se lier la volonté d'être un homme. Chloé, de presque 3 ans son aînée, l'invective sur la puérilité du rapport qu'il entretient avec son petit frère, dont il cherche à se débarasser par tous les moyens. Rentrent alors en collision deux mondes : celui d'un garçon dont le mensonge sert à éloigner l'embarras d'autrui, et celui d'une jeune fille dont il sert plutôt à attirer l'attention. Du moins, à première vue.

Puisque si l'on nous présente les deux protagonistes comme des créateurs d'histoire, ce n'est ni pour les humilier, ni pour les extraire de leur foi onirique. Bien au contraire, les adolescents se complaisent dans les images qu'ils créent, en particulier dans la figure du fantôme. Pour Chloé, elle est d'abord un moyen de brouiller les pistes quant à son désir de grandir. Bastien y trouve une façon de se libérer du regard d'autrui, de cacher son visage enfantin, lequel se fait symboliquement endommager dès qu'il se défait de son masque. Comme leur destin, les angoisses des deux enfants se croisent : l'une a peur de devenir adulte, et l'autre veut grandir trop vite. Le génie de Falcon Lake se situe alors dans la légitimation des images des enfants, car il s'agit de transmettre des émotions de manière tangible plutôt que de les expliquer. En piochant dans les codes du cinéma fantastique, parfois teinté d'horreur, le film excelle dans l'art de retranscrire les angoisses des personnages, dans une sorte de concrétisation magistrale du travail de David Robert Mitchell sur le déjà très bon It Follows.

Mais c'est toutefois dans l'ambivalence de ces symboles que le premier long-métrage de Charlotte Le Bon trouve son cachet. La représentation des premiers amours se doit d'être angoissante comme rassurante, à l'image des deux figures conceptuelles qui dominent le film : le fantôme et l'eau. Le fantôme qui protège Chloé de l'âge adulte est aussi le spectre de son ancienne relation. Bastien, qui "devient" alors ce fantôme pour se fondre dans la masse, s'y brûle les ailes en mentant à Oliver. De même, l'eau, qui terrifie Bastien, produit aussi l'écume sur le dos de Chloé, déclenchant en lui le sentiment amoureux. Tous deux se trouvent alors plongés dans un océan de poésie, d'amour et d'angoisse qui parvient à retransmettre tout leur cheminement émotionnel, des premiers regards aux premiers touchers. Le naturel et le surnaturel sont comme le reflet des personnages, tout en les menaçant silencieusement sous le clair de lune.

Ces destins entremêlés trouvent leur point culminant dans une dernière ligne droite magistrale, où Icare troque la brûlure pour la noyade, où les spectres du passé deviennent ceux du présent et où, finalement, la beauté des premiers amours s'éteint. Falcon Lake est une histoire aussi éphémère que bouleversante, où l'on doit subitement faire le deuil d'une innocence perdue. L'effluve d'émotions y côtoie l'émerveillement pour une œuvre débordante de sens, que l'on ne peut comprendre qu'en la visionnant.

Meyga
9
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le 9 déc. 2022

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Meyga

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