Amin est afghan et vit au Danemark. Comme tant d'autres, il a fui son pays. Comme tant d'autres, il aura connu l'humiliation, la honte, la peur, la mort. C'est son histoire qui nous est racontée ici. Flee marque par la vivacité de son récit et par les moyens mis en oeuvre pour nous le partager. Mêlant différents types d'animation et des prises de vue réelle, le film permet de faire surgir les souvenirs, les cauchemars, et les instants d'interview au temps présent.


Amin est un grand gaillard qui se raconte, couché sur une sorte de table surmonté d'une nappe aux motifs géométriques, comme on l'imaginerait chez le psy. Il répond aux questions de son ami journaliste/cinéaste (double du réalisateur, Jonas Poher Rasmussen). Nous sommes directement impliqués dans l'histoire. Amin, même s'il a encore beaucoup de doutes, parle de cette aventure qu'on lui a infligée, de manière consciente et volontaire. Par la sorte, tout mélodrame est évité. Il prend son temps, réfléchit à ce qu'il va dire. Les traits sont saccadés, lents, posés, parsemés de saute d'images pour dynamiser le tout.


Au début du film, son enfance à Kaboul est dépeinte de manière joyeuse, grâce notamment à l'animation faisant penser aux animés et à la chanson "Take on me". Amin se décrit lui-même comme un garçon différent, portant avec bonheur les robes de ses soeurs, et qui a très vite eu des fantasmes sur JCVD et d'autres corps masculins bodybuildés. Les mots sont dits, les images restent très pudiques, laissant place à l'imagination. Après tout, d'après Amin, il n'existe pas de mot pour "homosexuel" en Afghanistan.


Cette enfance joyeuse dépeinte en quelques plans va être déchirée par le changement de régime, le départ des Russes et l'arrivée des Talibans. La Grande Histoire nous est expliquée par des extraits d'archive de télévision, se coulant formidablement bien dans l'animation. Et là, l'enfance vire à l'âge adulte, trop vite, beaucoup trop vite.


Cette poussée de violence, d'horreur, d'humanité la plus bestiale, est représentée par ces séquences animées filmées en noir et blanc, striées de part en part par des coups de crayons/pinceaux, en équilibre instable. Des silhouettes fantomatiques courent, fuient. Elles représentent tous ces réfugiés obligés de s'en aller, de quitter leur chez eux sans qu'on ait demandé leur avis. Dans une perspective de ne pas montrer l'horreur, irreprésentable, ces touches de blanc et de noir créent une sensation de vie en suspens, prises dans un mouvement irrépressible.


Amin nous raconte alors la disparition de son père, emprisonné par les nouveaux au pouvoir en Afghanistan. Son arrivée en Russie avec son frère et ses deux soeurs, accompagnés de leur mère. Leur vie enfermée dans un appartement, au sein d'un immeuble glauque et d'une société russe corrompue jusqu'aux os. La peur terrible des monstres : les policiers et les passeurs. Leur adolescence passée enfermée à regarder des telenovelas mexicaines, à attendre qu'un autre frère arrivé en Suède ait gagné assez d'argent pour le "voyage". Les marches dans le froid, les brimades policières, les bateaux trop petits pour accueillir tout le monde et qui prennent l'eau.


Amin nous décrit tout, et raconte où il en est maintenant. Son envie de réussir pour sa famille qui s'est sacrifiée pour lui. Sa possibilité de vivre son homosexualité librement, avec la bénédiction de son frère et ses soeurs, lui qui avait si peur de les décevoir après tout ce qu'ils avaient fait pour lui. Son histoire est poignante parce que racontée avec des mots simples, sans éviter l'horreur mais en ne s'y attardant pas. La pudeur est le maître-mot du film. La pudeur née de la honte, dont il faut s'affranchir pour enfin vivre la vie dont on a voulu nous arracher.


Que l'homosexualité soit célébrée dans le film et non pas une nouvelle source de conflits supplémentaires est un des bienfaits de Flee. Même si son orientation sexuelle fait partie intégrante de sa vie, de ses questionnements et de son cheminement, Amin nous est décrit ici comme une personne qui fuit, peu importe sa sexualité. Il est beau de voir à l'écran des fantasmes qui prennent vie, qui ne sont pas brimés, punis, mais faisant partie d'un tout global, de qui il est. La musique du générique de fin nous étreint, notre héros continuera sa route sans nous.


Flee est un récit limpide d'un réfugié qui, malgré ses déboires et les chaos traversés, aura eu de la chance. La chance de pouvoir raconté son récit, là, maintenant et d'être accompagné d'un homme qui l'aime, d'amis et de sa famille. Amin est un réfugié miraculé. Pour tant d'autres, des milliers (millions) d'autres, ce film ferait office de paradis à atteindre, d'objectif inatteignable. Pour tant d'autres, la vie d'Amin est un rêve fantomatique, strié de coups de pinceau, fuyant vers le vide.

Cambroa
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le 2 mars 2022

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