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Avec Frankenstein, Guillermo del Toro réalise l’un de ses rêves. La créature née de l’imagination de Mary Shelley est, avec Pinocchio, l’un de ses personnages fétiches. Ce nouveau film de mon réalisateur préféré n’est pas un film d’horreur, malgré son classement, mais à la fois un film de romance — qui n’a rien de fleur bleue — et un film existentiel : une méditation sur nos représentations de l’autre et de nous-mêmes.

On connaît l’affection du cinéaste pour les « monstres », ces figures qu’il réhabilite film après film. Dans Frankenstein, le véritable monstre n’est pas celui qu’on croit : il n’est pas dans la créature, mais dans le regard qui la condamne. Del Toro voit la beauté là où elle n’est pas reconnue. Il n’est ni fasciné ni prisonnier de la laideur : il est attiré par la beauté, quelle qu’en soit la forme. Ici, elle prend plusieurs visages : celui de la créature et de son innocence, du vieil aveugle et de sa bonté, et celui d’Élisabeth, beauté parfaite dont la pureté du cœur éclaire le film.

Le cinéaste met en scène avec une justesse rare le mécanisme psychologique de la projection :

• un être sans cœur, comme le docteur Frankenstein, voit un être sans cœur dans la créature ; incapable d’entrer en relation, il ne perçoit que son propre vide ;

• les humains dominés par la peur projettent sur elle leur angoisse, l’agressent et sont agressés en retour.

À l’inverse, ceux qui abordent l’autre depuis leur profondeur intérieure peuvent rencontrer sa vérité :

• une âme pure, comme Élisabeth, reconnaît la pureté de la créature et lui permet de l’exprimer ;

• un homme bon, comme le vieillard aveugle, découvre en elle un ami et reçoit en retour amitié et secours.

Tout le film devient alors une parabole sur le regard, sur les identités imposées et sur la possibilité d’un regard qui libère.

C’est aussi un film sur l’enfance. La créature, née d’un « fabricateur » plus que d’un créateur, arrive au monde sans repères : elle apprend à marcher, à sentir le chaud et le froid, à nommer. Comme un enfant, elle est d’abord ouverte à tout. Mais très vite, elle est brisée par celui qui l’a faite. Frankenstein lui dit : « Tu es un monstre », elle finit par le croire : « Je suis un déchet. » Le monde nous façonne ainsi. Pourtant, le regard de l’aveugle, qui voit clair, est bien différent : « Je sais qui tu es : un homme bon et mon ami. » Ce regard sauve. La créature finit par refuser l’identité mensongère qu’on lui a imposée et renvoie le mot « monstre » à celui qui en est la source.

Il y aurait tant à dire sur la densité de ce film, par exemple sur la scène bouleversante où la créature découvre la nature et où les animaux, seuls, ne la craignent pas. C’est l’une des plus belles séquences de Del Toro, où la pureté s’oppose à la peur.

L’esthétique gothique, somptueuse, porte sa signature. Même si la production Netflix tend à lisser certains aspects, le cinéaste reste pleinement lui-même. Son Frankenstein nous conduit, après la souffrance et les ténèbres, vers une lumière simple et apaisante. Une paix sans mièvrerie, sans fard.

Encore une fois, merci à Guillermo del Toro pour cette manière unique de raconter les blessures de l’humain avec intelligence et cœur.

abscondita
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