To live and let sigh
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le 8 nov. 2025
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Frankenstein de Guillermo Del Torro. Que de promesses dans cet assemblage ! D’un côté, le roman fondateur de Mary Shelley, sur la science sans conscience et la ruine de l’âme. De l’autre, un réalisateur passé maître dans les histoires de monstres humains et d’hommes monstrueux. Une association apparemment parfaite donc, mais qui m’en rappelle d’autres : un Alice aux Pays des Merveilles de Tim Burton, un Robin des Bois de Ridley Scott… autant de greffes qui n’ont pas pris.
Pour ce film-ci, sans que l’opération soit totalement ratée, c’est bien la déception qui domine.
L’histoire, on la connaissait, que ce soit par le roman original ou ses nombreuses adaptations. Même la double narration, adoptant le point de vue de Frankenstein, puis de sa créature, et qui nous parait si moderne, était déjà présente dans l’œuvre de 1818. Les transformations opérées par Guillermo Del Torro à partir de ce matériau de base sont plutôt bien pensées, et n’en trahissent pas fondamentalement l’esprit. On peut toutefois regretter une certaine aseptisation. Sans trop en dévoiler, la créature du roman est bien plus monstrueuse que la créature du film. Sympathie pour les monstres de la part du réalisateur ? Oui, bien sûr, mais pas seulement. Je crains fort que l’univers du réalisateur du Labyrinthe de Pan et de l’Échine du Diable n’ait beaucoup souffert de son passage par la moulinette de Netflix.
Si on reconnait la patte de Guillermo Del Torro dans les costumes, les maquillages et certains jeux de lumière, toute subtilité esthétique me semble dénaturée. Tout d’abord, pas le réemploi de morceaux de ces anciens films, qui hésite entre l’hommage et plagiat (la jeune femme au chandelier qui descend l’escalier comme dans Crimson Peak, le maquillage de la créature qui tend vers les elfes d’Hellboy). Mais surtout, comme pour tant d’autres productions contemporaines, par le recours abusif aux effets numériques. Les coutures se voient, les sutures craquent de partout entre le concret d’un costume, la sincérité du jeu d’un acteur, la maquette patiemment réalisée et les arrières plans modélisés, les lumières étalonnées en post-production et les animaux numériques parfaitement dégueulasses. Une scène illustre particulièrement ce problème. La créature, perdue et blessée, marche dans une forêt. Elle tombe sur un troupeau de cerfs. Nullement effrayés, ils la laissent approcher et se même nourrir. Toute la poésie est ruinée par des cerfs numériques sans doute modélisés par des personnes n’ayant jamais vu un cerf de leur vie. Un cerf ! Ce n’est pas un dinosaure ou un dragon ! N’était-il pas possible de faire la scène avec un vrai animal ? Quand aux loups du film, je ne préfère pas en parler tant leur caractère totalement irréaliste ruine toutes les scènes dans lesquelles ils apparaissent.
Autre défaut de beaucoup de productions récentes, l’impression que le film veut imposer ses émotions et ses réflexions au spectateur. Comme si nous étions incapables de le comprendre sans tout expliciter. Il n’est pas nécessaire de faire dire aux personnages que c’est Frankenstein le monstre, la narration devrait le faire seule. La première moitié du film est particulièrement pesante de ce point de vue, accumulant les clins d’œil très (trop) appuyés : références au mythe de Prométhée, à celui d’Adam et Eve, statues de la Méduse, omniprésence des miroirs…Heureusement, dès que la créature fait son apparition, le récit gagne en originalité et en authenticité. De manière générale, les acteurs tiennent leur rôle avec talent. Oscar Isaac campe un Frankenstein convaincant, tout en orgueil, envie et colère. Le personnage de Christoph Waltz est un ajout intéressant à l’histoire, et son acteur est, comme toujours, impeccable. Mais le duo qui fonctionne le mieux selon moi est celui formé entre la créature (Jacob Elordi) et Elizabeth (Mia Goth). Deux êtres humains traités comme des objets de curiosité, le monstre de foire et l’oiseau exotique, tous deux destinés à être observés, enfermés, contrôlés. Deux créatures que tout semble opposer et qui se retrouvent pourtant dans leur soif de pureté et de liberté. Les scènes qui les rassemblent sont les plus réussies, tant en termes d’émotion que d’image : une feuille morte qui vogue comme un bateau de papier, une marche nuptiale devenant marche funèbre.
Ces moments de grâce laissent entrevoir tout ce qu'aurait pu être le film, sans les artifices contemporains cherchant à donner, bien maladroitement, l'illusion de la vie.
Créée
le 8 nov. 2025
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