To live and let sigh
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Guillermo del Toro réalise enfin Frankenstein, le film dont il rêvait depuis probablement aussi longtemps que Victor Frankenstein rêve de devenir influenceur en biologie synthétique. Et bien sûr, c’est somptueux, baroque, saturé de textures gothiques… bref, du del Toro pur jus. Rien ne réjouit plus qu’un artiste accomplissant sa fantaisie — sauf peut-être la douce satisfaction de constater que, même dans l’accomplissement, il peut se prendre les pieds dans le tapis de l’idéologie.
Car oui, del Toro revisite l’histoire, et à force de vouloir approfondir les motivations, il finit par les aplatir. Dans une sorte de lecture pseudo-rousseauiste de comptoir, il transforme Victor en enfant maltraité, façon “l’homme naît bon, et c’est sa famille qui le rend vraiment très, très nul”. Comme si le public était trop fragile intellectuellement pour accepter le concept, pourtant assez simple, qu’une bonne personne puisse être corrompue par une mauvaise idée — idée que Mary Shelley, 18 ans, avait manifestement mieux intégrée que certains scénaristes grassement payé du XXIᵉ siècle.
Le problème, c’est qu’en infusant Freud dans le thé noir du romantisme noir, del Toro finit par produire une tisane tiède. L’intention est claire : “Regardez, Victor n’est pas mauvais, il a juste un trauma qui lui fait faire des trucs un peu… excessifs.” Merci, docteur Lacan, mais parfois le mythe fonctionne précisément parce que le savant se perd par hubris, pas parce qu’il a raté son développement affectif entre 8 et 12 ans.
À croire que le cinéaste craint qu’on n’éprouve pas suffisamment de compassion pour la Créature, cette figure tragique qui n’a jamais eu besoin d’un flashback pour être bouleversante. Pourtant, il livre une réplique splendide — la plus belle du film, un cadeau direct de Shelley :
« J’ai en moi un amour que vous pouvez à peine imaginer et une rage que vous ne croiriez pas. Si je ne peux satisfaire l’un, je m'adonnerai à l'autre. »
Une phrase qui contient à elle seule tout Kierkegaard, tout Dostoïevski, tout Schopenhauer — bref, tous ceux qu’on invite dans une discussion quand on veut faire croire qu’on lit des livres sans images.
Mais malgré ce sublime éclat, le film semble parfois guidé par le souci très contemporain d’éviter toute ambiguïté morale. Del Toro, apôtre du monstre émouvant, finit paradoxalement par infantiliser ceux qui le regardent.
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir : le film est beau, sincère, parfois maladroit, souvent généreux — un festin gothique : chaque plan semble peint avec l’ardeur d’un romantique qui aurait lu trop de Kant à la lumière d’une chandelle. On en ressort hypnotisé, presque reconnaissant que le cinéma puisse encore ressembler à une cathédrale.
On attendait un Frankenstein tragique, on obtient un Frankenstein analytique. Par moments, on regrette le tragique ; par d’autres, on admire la psychanalyse. Au fond, même quand il rate, del Toro rate avec élégance — ce qui, convenons-en, est déjà plus que ce que la plupart des cinéastes parviennent à faire quand ils réussissent.
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