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Le monstre avait une âme, le film un peu moins

Encore une nouvelle adaptation de Frankenstein, un mythe qu’on a vu et revu. Mais quand Guillermo del Toro s’y attaque, on peut espérer beaucoup. Il a déjà prouvé avec Pinocchio qu’il pouvait tirer un regard neuf sur une histoire éculée, et Frankenstein semble typiquement dans son terrain de jeu : une horreur romantique, un imaginaire tordu mais émouvant, entre la monstruosité et la grâce. Le film s’ouvre sur un bateau danois, pris dans les glaces au pôle Nord. À bord, les marins repêchent Victor Frankenstein, fuyant une créature terrifiante. Il commence alors son récit.

Pour être honnête, je n’ai pas été totalement emportée. La construction en discours rapporter (récit de Victor, puis récit de la créature) apporte peu. Je comprends bien l’intérêt : forcer le personnage de Victor à une forme d’humilité et lui ôter le contrôle du récit. Mais sa partie est interminable. Sa relation avec sa mère, ses études de médecine, ses expérimentations, sa rencontre avec Hardlander, puis la fiancée de son frère, tout ça traîne. Ce n’est pas inintéressant, mais trop long, surtout pour une histoire dont on connaît déjà la fin. Une lenteur renforcée par le caractère antipathique du personnage.

J’ai été plus intéressée par le récit de la créature. La voir progresser, s’exprimer, éprouver, se défendre oralement même face à son image… c’est là que le film devient plus riche. Rejetée par un créateur qui refuse d’endosser la charge éducative et émotionnelle, elle découvre le monde par la douleur : la solitude, le froid, la faim, la peur, sans personne pour l’accompagner. Elle apprend le langage, mais surtout le rejet. Rejet systématique, brutal, uniquement à cause de ce qu’elle est, ou plutôt de ce qu’elle semble être. Si le propos sur l’altérité n’est pas neuf, le réalisateur réussit à manipuler le sujet. Le fait de laisser à la créature l’espace pour exprimer sa souffrance, son enfermement dans un monde qui ne veut pas d’elle, et dont elle ne peut s’échapper, puisqu’elle est immortelle, donne à ce moment du film une vraie force. C’est là que l’émotion émerge vraiment.

Mais ensuite… le dernier acte. Là, j’avoue, ça m’échappe. L’écriture devient confuse. La créature, après un nouveau refus de Victor de remédier à sa solitude, lui colle une raclée et lui dit qu’elle est son maître… mais aussi qu’il devra la pourchasser. Qui traque qui ? Est-ce Victor qui chasse la créature, ou l’inverse ? Alors qu’il en a peur, pourquoi la poursuivre ? Je ne comprends pas ce chassé-croisé. Cette confusion narrative brouille l’édifice, sans pour autant approfondir les conséquences du passage de la créature à la demeure familiale.

C’est dommage, parce qu’à côté de ça, la créature a une vraie humanité. Certaines scènes sont symboliquement très belles, magnifié par une approche très picturale de la composition. Les décors, les costumes, la symbolique des couleurs, en particulier le rouge dans la vie de Victor, sont très présents. Elizabeth, elle, porte plutôt du bleu, du blanc, du jaune… sauf ce parapluie rouge qui fait écho. Del Toro construit de vrais tableaux. Mais j’ai été plus déçue par la photographie. Elle m’a rappelé Nightmare Alley, avec ce côté trop saturé, trop riche, trop « Netflix » dans l’esthétique. Tout est ultra-précis, sans vrai contraste. Ça manque d’un peu de respiration visuelle.

Côté casting, Charles Dance et Christoph Waltz semblent en pilote automatique, dans des rôles déjà vus. Mais Oscar Isaac est parfait en Victor Frankenstein arrogant. Mia Goth, que je connais peu, m’a fait penser au Dracula de Coppola, avec une pureté stylisée, proche mais pourtant différente de Winona Ryder. Mais c’est surtout Jacob Elordi qui apporte une vraie densité dans son incarnation de la créature — certes grandement aidé par le maquillage. Son jeu corporel, ses gestes, ses mimiques, évoquent à la fois un faon gracile et un être maladroit. Il incarne cette ambiguïté entre la poésie et la monstruosité avec une grande justesse. Une vraie performance.

Donc je suis déçue, car Del Toro peut faire tellement plus. Le Labyrinthe de Pan utilisait le fantastique non seulement pour émerveiller, mais aussi comme reflet de nos peurs les plus profondes. Ici… est-il prisonnier du texte de Mary Shelley ? Je ne sais pas, ne connaissant pas assez l’œuvre d’origine. Mais le résultat est un film de 2h29, dont seules les 45 minutes sur la créature m’ont vraiment captivée.

AlicePerron1
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il y a 6 jours

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Alice Perron

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