My white horse is named War
"Lorsque Rommel décida de refermer sa mâchoire en Tunisie, ma clope n'était pas encore totalement consumée. Mon équipe et moi n'étions pas là depuis très longtemps que déjà, la mort était une vulgaire habitude folâtre. En France, le débarquement ne s'est pas passé comme prévu. Les défenses boches nous ont joyeusement charcuté. La voix de Bible trahissait la peur qui nous tenait tous, ses "Envoyé !" résonnant encore et encore dans notre potentiel tombeau de métal. Aujourd'hui, un obscur jour d'Avril 1945, me voilà au milieu d'un carrefour boueux, ma furieuse gueule de feu attendant patiemment les bottes de mes compagnons de jeu Schutzstaffel.
Bible fume, accoudé, papotant sûrement avec son ami barbu. Gordo termine gaiement la dernière bouteille de whisky, de la bonne came germanique supérieure. Coon-Ass marmonne dans son coin. Il n'est pas habitué à prendre pour acquise la grande camarde. Et puis il y a ce pti jeune, Norman. Un bon bougre qui s'est retrouvé ici par erreur. On devrait pas laisser certains jouets aux enfants fébriles. C'est n'importe quoi.
On me l'avait bien vendue. Quand je repense à ces crétins dans leur uniforme bien lessivé, sans souillure, hurlant joyeusement à ces foules aux yeux illuminés que la guerre est une balade polissonne, en bonne compagnie fraternelle. Cette certaine tendance à la croyance romantique, bardée d'expectances grandioses, éclatantes dans leurs promesses vaillantes d'un monde qui ne demande qu'à devenir une carte postale. J'ai vu les cortèges implacables devenir des titans sans âme. A mesure que les schleus reculent, les lauriers se fanent et les cadavres encore chauds s'entassent. Là où la mort passe, la revers devient maître et le dégoût est un gospel. Je ne sais plus qui de nous ou du canon est la machine. Le bruit des plaques qui s'entrechoquent et des boulons qui grincent remplace ma respiration.
Je repense à Emma et sa mère. Au moins elles demeurent en dehors de tout ça maintenant. Si j'ai pu calmer ne serait-ce que pendant une heure leur crainte des sifflements, c'est tout ce que je demande.
Norman crie quelque chose. Bible écrase son mégot. Gordo balance la bouteille vide par l’entrebâillement. Coon-Ass se redresse lentement.
Mon dos me fait mal, je revois le feu."