Une odyssée nocturne fiévreuse dans les bas-fonds de New-York

Est-ce-que Thierry Frémaux n’avait pas gardé en tête la réception critique et publique unanime autour de Drive en 2011 lorsqu’il décide d’intégrer Good Time en compétition ? On peut le supposer tant cette histoire de braquage raté à l’ambiance fluorescente possède certaines similitudes avec le film de Nicolas Winding Refn. Néanmoins, c’est du côté de Martin Scorsese qu’il faut se tourner pour trouver un équivalent à cette lente plongée cauchemardesque tant Good Time a l’allure d’After Hours, le film de Marty qui avait remporté le Prix de la mise en scène en 1986. Pas étonnant qu’il soit remercié dans les crédits du film. Si les Frères Safdie ne sont pas les plus reconnus des cinéastes indépendants américains, ils ont déjà goûté à deux reprises le boulevard de la Croisette dans la sélection Quinzaine des Réalisateurs (The Pleasure of Being Robbed, 2008 et Lenny and the Kids, 2009). Adeptes d’un cinéma mumblecore qui se définit par un manque de budget évident, contrebalancé par une énergie saisissante et une approche semi-documentaire de leurs personnages, caméra à l’épaule, les deux frères s’attachent à donner une nouvelle représentation de l’errance new-yorkaise à travers des personnages marginaux prêts à tout pour s’extirper d’une condition sociale sans avenir. Tout commence lorsque Connie (Robert Pattinson) entraîne son frère Nick (Ben Safdie), handicapé mental, dans un hold-up présumé sans risque et qui aurait dû être le point de départ d’une nouvelle vie, loin cet environnement toxique. Évidemment, le braquage va mal tourner.


C’est dans un New York nocif qu’évoluent les personnages de Good Time, en proie à l’hystérie, la drogue et les crimes de petits malfrats. L’existence semble se situer soit sous acide, soit en prison. Une perspective peu réjouissante qui pousse Connie et son frère à commettre ce braquage. Mais lorsqu’il tourne mal et que son frère est arrêté, tabassé en prison et hospitalisé, Connie va se lancer dans un course effrénée pour l’en sortir. Dans ce chaos, il prend constamment les mauvaises décisions qui ne font qu’envenimer la situation et l’emmener dans un engrenage qu’il ne saura plus arrêter. Cette intrigue révèle la toxicité des liens fraternels et la vacuité de l’existence des personnages, sacrifiés pour avoir tenté le diable. A défaut de renouveler le genre, les frères Safdie signent un polar tendu et efficace, magnifié par son immersion anxiogène et son ambiance électronique, des néons stylisés au score musical expérimental du compositeur Oneohtrix Point Never. L’énergie qui se dégage du film semble parfois cacher le manque de développement narratif, mais les frères Safdie saisissent avec brutalité ce New York underground. Et dans ces rencontres, on croirait entrapercevoir le cinéma des Coen – encore des frères- avec ce défilé de personnages ratés mais empathiques qui agissent constamment dans l’urgence. Robert Pattinson est désormais un habitué de la Croisette. Celui qui suscitait autrefois les moqueries s’est racheté une notoriété depuis bien longtemps maintenant. L’acteur semble apprécier être là où on ne l’attend jamais, après avoir été chez James Gray en début d’année dans The Lost City of Z. Sans livrer la performance de sa vie, l'acteur anglais incarne avec puissance ce frère despotique, agité, amoral et persuadé d’être plus malin que les autres. Good Time est donc une odyssée nocturne fiévreuse dans un New York peu reluisant que n’aurait pas renié Martin Scorsese. Même s'ils sont repartis bredouilles de Cannes, les frères Safdie ont plus que jamais été propulsé sous les projecteurs avec ce cinéma brut qui vit par ses propres moyens, en marge des studios hollywoodiens, à l’instar de l’impact que la Nouvelle Vague française et le Nouvel Hollywood avaient exercé à leur époque. Good Time est un shot d'adrénaline qui mérite assurément le coup d'oeil.


Critique publiée sur CSM lors de sa projection cannoise.

Softon
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le 2 sept. 2017

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Kévin List

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