Peu connu du grand public, les frères Safdie ont développés une filmographie consacrée aux marginaux, et à l'image de leurs personnages ils évoluent en laissés pour compte de leur univers. On sent l'empathie qu'ils ont développés pour les petits voleurs, les junkies et les pauvres qui se démènent comme ils peuvent pour subsister au jour le jour. Chacun de leurs films à sur ce point une part biographique voire même autobiographique. Les deux cinéastes se reconnaissant dans les personnages qu'ils filment. Mais avec Good Time, leur dernier long-métrage, ils ont la volonté de toucher un autre public grâce à la présence de la star Robert Pattinson en leading role. Après une majeure partie de leur carrière à être dans l'ombre, avec des films peu diffusés et qui n'ont pas connu le succès publique, ils reviennent avec une oeuvre qui pourrait enfin leur apporter un peu d'éclairage.


On reste ici encore très ancré dans leurs thématiques même si ils adoptent une forme beaucoup plus accessible. Loin de leurs drames sociaux parfois parasités par le misérabilisme, ils signent ici un thriller pêchu qui délaisse un peu son histoire au profit de la mise en scène. Car au final, Good Time raconte très peu mais c'est dans cette économie de réel accomplissement que l'oeuvre trouve son sens. Il y a bien évidemment une intrigue mais celle-ci n'a pas vraiment de finalité. Continuant leur fascination pour les relations abusives, les frères Safdie s'intéresse ici à la fraternité (après la paternité et la relation amoureuse) à travers le parcours de deux frères fauchés et légèrement cas sociaux dont un des deux est handicapé mental. Sans jamais remettre en cause l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, le film va interroger la manière dont les bonnes intentions viennent parfois parasiter ceux que l'on aime. Suivant le frère aîné lors d'une nuit mouvementée, le récit va symboliser avec finesse tout ce qui ne va pas dans la façon dont il mène sa vie, car malgré l'amour qui l'habite, celui-ci devient surtout nocif et le pousse à entreprendre les mauvais choix.


Le film pose des questions sociales intéressantes et le fait avec beaucoup de subtilités même si il n'évite pas les clichés typique du film indépendant américain. Certains développements se montrent attendus mais c'est au final le regard atypique qu'il porte sur son sujet qui l'emporte. Rarement une oeuvre cinématographique n'aura aussi bien retranscrit l'urgence et la détresse sociale. Le personnage de Pattinson devenant très vite une figure tragique, sorte d'animal blessé qui tente de fuir avec son frère de ses entraves sociales, dans un New York nocturne. La criminalité et la fuite résultent ici de l'envie d'offrir à son frère et à lui-même une vie meilleure qu'ils n'ont eu, même si ce n'est pas foncièrement ce dont son frère a besoin. Le poids des responsabilités est donc ici traité avec habilité et Good Time n'en fait jamais trop tout en sachant toucher tout le monde avec un propos assez universel. Tout le monde aspirent au final à mieux qu'à ce qu'ils sont promis. Le tout est en plus appuyé par un très bon casting avec surtout un Robert Pattinson au sommet de son art. L'acteur livre la meilleure performance de sa carrière avec un rôle qu'il tient avec intensité et justesse. On reprochera peut être le jeu un brin caricatural de Ben Safdie dans le rôle de son frère handicapé mais il parvient néanmoins à se montrer touchant.


Pour ce qui est de la réalisation, les frères Safdie n'ont jamais autant soignés leur esthétisme. Avec une photographie léchée qui sublime l'obscurité, ils signent une oeuvre nocturne hypnotique et survoltée par sa gestion impeccable du rythme et la tension distillée par ses séquences. Surtout que le tout est englobé par un score musical tantôt planant et tantôt percutant qui alimente à merveille l'action ou la pression des scènes. Avec une mise en scène très proche des personnages quand le film s'intéresse au drame humain mais qui gagne ici plus d'ampleur par rapport aux précédents travaux des cinéastes. Ils offrent une mise en scène plus planante avec l'utilisation de plans aériens qui voit la caméra se balader au dessus d'une New York qui semble sur le point d'imploser. Fataliste et désespérée, la réalisation est autant un shot d'adrénaline qu'une complainte mélancolique au milieu de la nuit qui donne à Good Time une atmosphère désenchantée et lui donne les airs d'un film fantasmagorique .


Good Time est un thriller prenant qui impressionne par la sincérité de sa démarche et le regard atypique qu'il porte sur le monde et ses personnages. Muni de son atmosphère désespérée et de son rythme frénétique, il tient en haleine de bout en bout tout en impressionnant par la maîtrise de sa mise en scène et la précision de son casting. Notamment Robert Pattinson qui crève totalement l'écran. Après le film possède un scénario un peu plus faible et attendu dans sa narration, surtout quand celui-ci se repose facilement sur ses clichés. Mais c'est dans son propos et l'empathie qu'il porte à ses protagonistes qu'il trouve tout son intérêt. Surtout que ces questionnements sociaux sont loin d'être bêtes et trouvent dans le contexte économique actuel, une très forte pertinence. Reste que c'est le spectateur qui doit faire le plus gros de la démarche pour entrer dans ses profondeurs, au risque de ne rester qu'aux portes de ce qui pourrait s'avérer être un thriller tendu mais un peu vide. Good Time reste cependant un très bon film, ainsi que l'oeuvre la plus accessible et la moins misérabiliste des frères Safdie.

Frédéric_Perrinot
8

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le 9 sept. 2017

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