« The Getaway » est un film de Sam Peckinpah, sorti en 1972, avec Steve MacQueen et Ali MacGraw en têtes d’affiche. Il s’agit de l’adaptation cinématographique d’un roman de Jim Thompson, d’ailleurs originalement prévue avec une toute autre distribution (Bogdanovich à la réalisation et Cybill Sheperd dans le rôle de Mrs McCoy).


Après quatre années de prison, "Doc" McCoy réussit à en sortir avec la complicité de sa femme, et de l’aide intéressée d’un riche homme d’affaires véreux. Une seule condition : l’organisation et la conduite par McCoy – un perceur de coffres renommé – du braquage de la petite banque de Beacon City. L’affaire est entendue, et, après quelques préparatifs, rondement menée par la petite équipe. Evidemment, les choses se compliquent passablement lorsque la somme – un demi-million de dollars – fait des intéressés. Commence alors une chasse à l’homme sans pareille.


Le film de Peckinpah commence de manière classique : rien ne semble sortir de l’ordinaire, c’en est même parfois un peu plat. Néanmoins, ce temps est nécessaire pour présenter les personnages : ils sont deux, Mr et Mrs McCoy, et l’on ne s’intéressera qu’à eux. Dans les grandes lignes, l’on s’applique à définir leurs caractères respectifs et l’on nous donne quelques indices sur leur relation et leur histoire. Sur le plan formel, il est intéressant de noter l’utilisation importante que fait Peckinpah de l’ellipse : durant toute cette période, le réalisateur est volontairement bref et peu démonstratif, allant directement à l’essentiel. Cette économie de détails superflus est à la fois subtile et bienvenue, et donne un rythme rapide à toute la séquence (rythme qui n’est d’ailleurs pas toujours parfaitement dosé).


Néanmoins, si la première partie pâlit en comparaison de ce qui va suivre, tout n’est pas à jeter, loin de là ! On a notamment droit à une très chouette séquence de planification et d’exécution du braquage, qui ravira tous les fans (ô-combien sensés) de "films de plan" et à l’une des plus belles photographies de Peckinpah – il fera encore mieux l’année suivante avec « Pat Garret contre Billy the Kid ». Et puis, vient un moment où, sans réelle transition, le film développe une identité propre et touche progressivement au merveilleux.


Nos deux héros sont en cavale, globalement poursuivis par tout ce que le Texas compte de flics et une bande de truands (heureusement bas du front). Le film prend les traits d’un road-movie sur les routes poussiéreuses de cet état grand comme la France, une odyssée en voiture, en train, en bus (ou mieux encore) entre motels interlopes, stations-services désertées et quartiers malfamés de la frontière mexicaine. L’on est mis devant le côté inéluctable de la poursuite, un combat éperdu pour la liberté alors que toutes les forces de l’ordre sont à la recherche de MacQueen qui a sa bobine en une de tous les magazines. C’est un affrontement déséquilibré entre une entité colossale aux moyens énormes – mais dispersés – et la formidable volonté d’un homme qui ne veut pas lâcher. Le voyage en lui-même est passionnant. Mais ce n’est pas tout !


Il est incroyable de constater à quel point tous les éléments de cette seconde partie s’enchaînent et se combinent harmonieusement : que ce soit les différentes péripéties et rebondissements du scénario – savoureuses et intelligentes –, le travail sur l’atmosphère, ou encore les fantastiques personnages décrits par Peckinpah, chaque aspect du film est réalisé avec le même soin et le même génie, contribuant à cet ensemble époustouflant.


Les personnages, par ailleurs, constituent la clef de voûte de la deuxième partie du film. Doc McCoy et sa femme prennent une dimension supplémentaire : l’on approfondit leurs caractères respectifs, et l’on s’attache à leur relation, que l’on développe vraiment ici. Et, bon sang, il est impossible de ne pas être séduit par Steve McQueen et Ali MacGraw ! La froide détermination de l’un, sa colère bouillonnante et son intelligence acérée font parfaitement écho à la douceur de l’autre, plus patiente et incertaine. Il n’y a pas de doute que ces deux tourtereaux s’aiment tendrement, et les scènes de disputes du couple – qui empruntent presqu’au film de mariage ! – font partie des plus attachantes et réussies du film. Difficile également d’imaginer interprètes plus parfaits que ces deux-là… Steve MacQueen est charismatique en diable, promène son sévère regard bleu acier sur tout ce qui l’ennuie, et porte le duo costume/fusil à pompe comme personne. Ali MacGraw, quant à elle, est probablement l’une des plus jolies actrices des films de Peckinpah, et, en plus, manie le volant et le colt comme pas deux (elle apprit à tirer et conduire pour les besoins du film).


Je n’ai jamais été très fan de « Bonnie and Clyde », et les choses ne risquent guère d’aller en s’améliorant après avoir vu le Peckinpah, tant Warren Beatty et Faye Dunaway souffrent de la comparaison !


Il y a encore toute une myriade d’éléments qui font du film une réussite presque totale. Le ton du récit, notamment, tour à tour très léger – avec un trio de personnages secondaires du feu de Dieu – ou plus grave, mélancolique et émotionnel. On retrouve également avec plaisir les thèmes favoris de Peckinpah (enfin, presque tous, ses génériques interminables ne m’avaient pas manqué). On pourra citer, entre autre, ses personnages un peu débiles, sa peinture de la violence, son goût pour les jolies femmes, son aversion pour les soutiens-gorge… Je n’ai pas remarqué de lit à barreaux, mais n’ayant prêté attention à ce détail qu’à partir de la moitié de la séance, il est possible qu’un ou deux aient échappé à ma vigilance.


Avec « The Getaway », Sam Peckinpah signe un film majeur, une histoire de gangsters avec des personnages hauts en couleur, des scènes truculentes, brillantes et inventives, qui bénéficie en outre d’une belle photographie. L’on pourra déplorer quelques soucis de rythme, en particulier dans la première partie, mais ces détails ne pèsent finalement pas lourd face aux innombrables qualités du métrage.

Aramis
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le 24 oct. 2015

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Aramis

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