Ce dernier dialogue avec Samantha m'a vraiment fait plaisir : la théorie que je m'étais faite de cette parabole qu'est Her depuis déjà une bonne heure éclatait au grand jour ! Généralement quand on se fait une idée d'un film on aime pourtant mieux qu'elle reste à l'état d'hypothèse ou de supposition, mais c'est exactement comme de se faire dire par son professeur que son travail est bon finalement.
Her, c'est un temps dans l'imaginaire. Je parle de bovarysme : c'est-à-dire pénétrer tout entier dans ses lectures, les superposer à sa réalité. Une sorte de syndrome de Korsakoff littéraire... Et ici, Théodore, c'est carrément Mme Bovary, dirait notre ami Gustave. Prenant cette intelligence artificielle pour sa petite-amie, lui faisant l'amour, suivant son évolution émotionnelle, Théodore est le fantasme de tout lecteur : celui qui aimerait influer sur le personnage de roman, qui n'est jamais réellement sûr qu'il a affaire à quelqu'un de concret, mais qui l'espère suffisamment pour projeter sur lui ses envies et ses souhaits. Ce personnage, Samantha, en devient nettement plus complexe : elle évolue très rapidement. Leur histoire d'amour est celle, artificielle, d'un spectateur et d'un personnage. Secrète, insondable, privée. Personne ne la comprend, pourtant tout le monde la vit. Chacun a sa Samantha, mais on a l'impression que personne ne connaît la Samantha de l'autre. Et quel étonnement quand on apprend avec Théodore qu'elle a plus de 500 autres amants ! Nous lecteur, nous ne souhaitons que ces créatures de papier ne s'animent qu'au fil de notre lecture, que nous en soyons les marionnettistes, non qu'ils vivent pour d'autres. Je VEUX connaître Emma plus que quiconque. La détresse amoureuse de Théodore n'en est que plus touchante.
Her, c'est vraiment une très très bonne idée. En même temps que de dérouler cette intéressante parabole sur la fiction et le lecteur (ou spectateur puisqu'on est au cinéma, mais j'aime beaucoup la parabole littéraire), ce film est un vivier de philosophie, tant au niveau de la solitude que de la société, de l'anachronisme créé par l'intelligence artificielle. Mais finalement, ce regard absolument pas condescendant de Spike Jonze sur l'IA l'envisage justement comme on a pu envisager la fiction littéraire : n'est-ce pas aussi dangereux que de tomber amoureux d'un personnage de roman ? On ne sort pas vraiment de la réalité quand on lit d'un livre. Certes, on ne parle pas à un livre. Mais Her reste une parabole, tout se passe dans la tête de Theodore.
Un cadre esthétique et une photographie sans aucun reproche, des interprètes sincères, et surtout des pantalons taille haute à faire pâlir les 70's : on regretterait presque le fait que le film soit un peu long... Mais il reste très abouti.