Un de ces films qu'on gagne à voir deux fois

Deux fois pour l'apprécier à sa juste valeur, car cette page d'histoire italienne des années 1990, bien que racontée avec beaucoup de savoir-faire, de fluidité et sous une forme simplifiée, est plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord.
Ceci dit, je doute que l'image de marque de Gucci sorte grandie du film que Ridley Scott consacre aux turbulences ayant mis à mal la famille fondatrice, propriétaire et gestionnaire pendant une bonne soixantaine d'années de cette maison de mode et luxe internationalement connue. En tout cas, l'impression que j'en ai reçue au départ, en découvrant peu à peu les différents membres des deuxième et troisième générations Gucci, a été déplorable. C'est probablement ce que Scott a voulu : que le spectateur ait d'eux cette perception négative. C'est à une satyre de cette dynastie italienne qu'il se livre, et peut-être à une charge contre la mode et l'argent gagné de cette façon.
Des Gucci, il souligne le ridicule de leurs amours, la vanité de leurs prétentions, leur narcissisme périmé ou grotesque, le caractère ostentatoire de leur richesse (le tableau de Klimt accroché dans la villa de Rodolfo Gucci doit valoir une centaine de millions de $, au bas mot). Alors, forcément on se pose la question : comment des personnes aussi peu intéressantes, aussi disgracieuses, inélégantes, tantôt complètement dépassées (notamment par leur réussite), tantôt d'une folle prétention, ont-elles pu réussir, s'imposer et perdurer dans un secteur d'activité qui dicte, en le faisant très cher payer, le bon goût et le chic au monde entier et où la concurrence est réputée féroce ? Mystère et boulle de gomme. Le film n'apporte pas de réponse claire à cette interrogation.

En revanche, ce qu'il nous laisse entendre, c'est qu'il y avait bien quelque chose de pourri dans l'empire Gucci, puisque leur puissance ne va pas résister aux agissements intempestifs d'une jeune arriviste : Patrizia Reggiani / Lady Gaga. Elle met le grappin sur, séduit et se fait épouser par le seul héritier de la troisième génération doté d'intelligence et d'envergure : Maurizio / Adam Driver, fils de Rodolfo / Jeremy Irons (50% des parts Gucci)... avant d'embobiner Aldo / Al Pacino et son benêt de fils Paolo / Jared Leto qui, eux, possèdent les autres 50% de l'affaire. Patrizia Gucci-Reggiani s'imagine un destin de femme d'affaires. Et tout ca finira très mal pour la famille Gucci. Aujourd'hui, comme on sait, la marque italienne, après certaines tribulations, est dans le giron de Kering (le groupe de luxe de François Pinault) et elle rapporte chaque année des milliards, mais pas aux Gucci. Eux ne détiennent plus une action de la maison qu'ils ont fondée et rendue célèbre aux quatre coins du globe.

House of Gucci relate donc une histoire à la fois dramatique (même : tragique) et pitoyable. Elle m'a, à première vision, inspiré une quasi répulsion, tant on y a droit à toute la panoplie des actes et sentiments humains les moins reluisants : convoitise, rivalités, coups fourrés, malversations, trahison, personnages doubles oeuvrant dans l'ombre, jalousie, violence, vengeance, tueurs à gage, etc.

Appréciant de longue date Ridley Scott, j'ai accordé une deuxième vision à son film et celle-ci m'a réconcilié avec la mise en scène choisie, la façon feutrée de raconter cette histoire vraie. Scott développe des faits qui paraissent à la fois anodins et ridicules (par exemple, cette caricaturale partie de rugby pour les 70 ans d'Aldo Gucci) et il en escamote d'autres, les passe sous silence, nous les laissant juste imaginer (ainsi, le rôle mystérieux de l'avocat et homme de confiance de Rodolfo Gucci, puis de son fils Maurizio ; le film ne nous livre que son prénom : Domenico, mais la fiche technique du film nous indique qu'il est Domenico de Solé... et Wikipedia nous en révèle d'étonnantes à son sujet). La mise en scène (en pointillés) de ce personnage quasi mutique m'a semblé hyper intéressante et habile. De même que la façon abrupte (en trois scènes et quelques minutes) dont toute l'histoire se conclut. Là encore, j'ai eu envie de consulter Wikipedia :

Patrizia Reggiani est toujours vivante, et désormais libre, mieux : dans l'aisance.

Fleming
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le 14 août 2022

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