Une expérience totalement indescriptible. Première "réalisation" du plus célèbre des contempteurs du spectacle sociétal Hurlements en faveur de Sade est un pamphlet définitif adressé à l'industrie cinématographique, pamphlet réfutant catégoriquement les formes, quelles que soient leurs formes : figuratives, abstraites, rythmiques, sonores, musicales... Guy Debord retire de son moyen métrage tout ce qui pourrait, de près ou de loin, s'apparenter à du cinéma : ainsi ce manifeste étire sur plus d'une heure son vide audiovisuel uniquement composé d'un écran noir intégralement silencieux... néant plastique à peine interrompu par des fulgurances monochromatiques blanches et clairsemées, elles-mêmes ponctuées d'extraits littéraires proprement médusants, délibérément débarrassés de leur contexte originel et présentés par l'entremise de voix-off étrangement emphatiques.
Ayant déclenché une véritable bataille d'Hernani lors de sa première projection en 1952 ce moyen métrage propose surtout l'épreuve que sa durée constitue. Volontairement négatif il met un point d'honneur à fuir l'idée même de fuite : celle du divertissement, celle du détournement de l'attention cérébrale, celle de l'anesthésie mentale ; une épreuve rappelant beaucoup L'expérience intérieure de Georges Bataille, consistant entre autres choses à faire face au réel et son caractère inconfortable, à projeter un projet qui n'en serait pas un... Tel pourrait être le désespoir vertigineux d'un film voué à ne pas être vu, pendant anti-cinématographique de l'oeuvre para-musicale de John Cage intitulée 4'33'', morceau uniquement composé des réverbérations acoustiques tenant lieu dans une salle de concert, intégralement silencieux lui aussi.