A-priori Monkey Shines a tout pour virer à la gaudriole ou au 'nanar'. À l'arrivée c'est une jolie fantaisie philosophique marchant sur plusieurs genres et registres : thriller, comédie sarcastique, absurde sombre. La relation entre Allan et la guenon Ella (singe capucin) passe par différentes étapes insolites. Pour ce jeune scientifique subitement devenu paraplégique, elle est d'abord une alliée inespérée, en lui apportant soutien et même compréhension. C'est le seul être avec lequel il puisse cohabiter sans gêne ni contrariété (il voit à ses côtés deux femmes infectes : la bonne aigrie et plaintive, la mère possessive et frustrée), tout en ayant pas à ralentir ou s'ennuyer comme s'il s'agissait d'un animal ordinaire. Chacun se dope, lui accélère son développement, elle favorise le rétablissement de sa vitalité (énergie, 'moral', assertivité).


Ces facultés extraordinaires se retournent progressivement contre l'entourage (subi) d'Allan puis contre lui-même. Elles sont le résultat d'une obscure expérimentation menée en solo par Geoffrey, l'ami qui donne Ella en cadeau à Allan. Son sérum 'd'intelligence' (attendons quelques années et on osera inoculer la schizophrénie dans le B de luxe via L'esprit de Caïn) est un trop grand succès, avec des effets secondaires psychiques ravageurs, poussant le film vers le fantastique (ou la science-fiction viscérale type Frankenstein). Le spectateur reste longtemps seul à connaître cette réalité (avec Geoffrey), ce qui rend le déroulement plus intéressant et pousse à l'anticipation. Il s'agit alors d'avoir du répondant et le film en aura (sur le plan graphique y compris – avec les trois vues subjectives du singe la nuit, dehors : le 'démon' d'Allan libéré comme dans un cauchemar), malgré quelques raccourcis et la mise en suspens de certains points : si l'alliance avec Ella avait perduré, si Allan lui avait pardonné ou essayait de la canaliser, ou mieux s'il entrait dans le déni, le film aurait pu devenir autrement intéressant. Mais ici l’irrationalité d'Allan prend l'écran et cette force serait probablement compromise. L'exercice reste donc pertinent car le discours est 'plein' et la voie horrifique est porteuse.


Les deux communiquent à double-sens, au détriment d'Allan, du moins le croira-t-il ; certainement au détriment de son ego et de sa conscience ! Le singe le pousse à extérioriser son refoulé au propre et en propre comme au figuré ; à réveiller sa colère, ses mauvais sentiments. En retour Allan lui infuse ses désirs, auxquels Ella se dévoue avec une intensité proportionnée – c'est justement l'horreur de la situation pour Allan, obtenant la satisfaction de ses élans les plus primitifs et lointains, mais souvent aussi les plus courts ; mais cela en déléguant les gestes et sans doute le plaisir, tout en gardant la culpabilité, la honte – et éventuellement en sentant l'hypocrisie de ses souffrances. Malheureusement pour lui même les objets chéris provoquent des envies carnassières. En somme Ella est une sorte de prophétesse 'spontanée' pour le réveil de l'animal chez les humains ; la fin prévue devait libérer une armée de singes 'réformés' sur la ville. Elle a été recalée sur réclamation d'Orion, une première pour Romero dont le précédent tournage, Creepshow, avait été sans heurts malgré le label Warner Bros (avant cela le pape du zombie au cinéma était en 'indépendant' avec le relais de Richard P.Rubinstein).


Suivant un trope plus habituel, qui en est un peu la version chimérique et primaire, Incidents de parcours est aussi le spectacle du 'mauvais génie' en roue libre, dont on regrette bien vite d'avoir autorisé les gratifications contre-nature. Le choix d'un homme handicapé, aux affects réprimés et à la surface mielleuse, est excellent sur tous les plans. La construction est suffisamment métaphorique et ordonnée pour compenser les détours trop faciles des représentations. Les parallèles entre Ella et Allan sont expressifs pour le meilleur (significatif et puissant) et pour le pire (lourdeur du passage avec les dents, mais la lourdeur est une rançon du succès et pas un gage d'idiotie). Le film est typé, de son temps, bien de son ou ses genres d'emprunt, mais il tient la distance et crée une différence. Romero a pris le risque du ridicule et du premier degré, il réussit son tour avec candeur ; Monkey Shines est remarquable pour ça. Les défauts tiennent plutôt au traitement léger de certains personnages secondaires, à l'inutilité modérée des déambulations de Geoffrey – et peut-être à cette scène avec une perruche agressive, drôle d'image déjà transmise dans Freddy 2 (1985). Il faut tout de même voir que cette anecdote grotesque est fluide et 'congruente' dans le contexte (ce n'est pas le cas dans Freddy 2). Sur un thème comparable, il existe aussi Link (1986), In the shadow of Kilimandjaro et Sharkma (1990).


https://zogarok.wordpress.com/2016/11/02/incidents-de-parcours-romero/

Créée

le 23 oct. 2016

Critique lue 538 fois

1 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 538 fois

1

D'autres avis sur Incidents de parcours

Incidents de parcours
montagneni
9

Critique de Incidents de parcours par Nicolas Montagne

Sortant à son grand soulagement de son éternel film de zombie, Romero peut enfin parler d'autre chose, et il le fait bien avec ce Monkey Shines de très bonne facture. Plus un thriller qu'un film...

le 24 mars 2013

4 j'aime

Incidents de parcours
Boubakar
7

Ce film ne vaut pas de la monnaie de singe.

Premier film de studio pour George Romero, et on lui donne enfin l'occasion de sortir de son carcan horreur-zombies, de manière plus visible qu'un Knightrider injustement passé inaperçu. Il s'attaque...

le 19 févr. 2019

3 j'aime

1

Incidents de parcours
blazcowicz
7

Le singe de la mort

Romero je connais assez bien, surtout pour sa fameuse saga des morts-vivants, et je suis plutôt fan du bonhomme. Une histoire de singe tueur, j’étais plutôt sceptique, ça sentait le synopsis vraiment...

le 25 août 2012

3 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2