Commençons par le commencement : oui, je fais partie de cette cohorte de vieux fans ronchons et protecteurs qui placent la trilogie originale de Steven Spielberg et George Lucas sur un piédestal. Mon tout premier visionnage de La Dernière Croisade est l’un de mes plus vieux et plus vibrants souvenirs. J’aime ces trois films comme on aime un vieil ami d’enfance. Il ont toujours été là et m’ont toujours donné le sourire.


L’on ne s’étonnera donc pas de me retrouver dans le camp des critiques de la majorité des productions Lucasfilm sous la houlette de Kathleen Kennedy. Star Wars réduit à un champ de ruines fumantes, Willow détourné jusqu’à la caricature, ce n’était plus qu’une question de temps avant que l’homme au fouet et au chapeau ne vienne compléter le triste tableau de chasse de celle qui, dans le making-of du coffret DVD de 2004, déclarait en riant jaune que « les femmes reçoivent toujours le pire traitement dans ces films. » Rappelons que le héros se fait battre à coups de fouet et de pelle, traîner derrière un camion, torturé et envoûté, que ses adversaires se font littéralement liquéfier, dévorer par les crocodiles et réduire en poussière, et que des figurants s'y font arracher le cœur et couper en rondelles par des hélices d'avion…


Tout cela pour dire que je ne me faisais aucune illusion en allant voir Indiana Jones et le Cadran de la Destinée, cinquième et dernier opus de la série – souhaitons-le. Au mieux espérais-je un honnête divertissement, au niveau de son prédécesseur Le Royaume du Crâne de Cristal ; autrement dit, sans commune mesure avec leurs trois aînés, mais pas aussi irregardable que le veut sa réputation. Mais même ça, c’était trop demander.


Le Cadran de la Destinée est purement et simplement… triste. Pathétique. Bien trop dénué de vie pour susciter la colère et le dépit provoquées par les précédentes abominations de Disney. Je m’étais couché après L’Ascension de Skywalker en fixant longuement le plafond au-dessus de moi et en murmurant, pardonnez mon langage : « Les enc*lés. P*tain, les enc*lés. » Rien de tel cette fois-ci, juste un sentiment de vieillesse ; « Ce ne sont pas les années, chérie, c’est le kilométrage. » Hélas, Indy, j’ai bien peur que ce ne soit les deux – et plus encore : des « forces des ténèbres » que même le docteur Henry Jones Sr. n’aurait pas soupçonné.


Comment, dans de telles circonstances, espérer renouer avec la spontanéité des débuts ? Déjà impossible en 2008 – ce dont Spielberg n’était que trop conscient – la tâche de James Mangold apparaît aujourd’hui suicidaire. J’ai pourtant adoré son remake de 3.10 to Yuma, et Logan est sans doute mon film de superhéros préféré, mais il n’était clairement pas la bonne personne pour ce film, si tant est qu’il y ait un critère de sélection pour les kamikaze. La simplicité du scénario au profit de l’étude lente et délibérée des personnages a jusqu’à présent fait sa force, mais elle le rend proprement inapte à succéder à Spielberg, probablement le meilleur story-boarder de l’histoire d’Hollywood. Monté avec un rouleau-compresseur thug, bourré de faux-raccords, Le Cadran de la Destinée est surtout d’une platitude choquante. Pas une seule scène ne marque les esprits, hors les performances d’acteur.


Ce qui nous amène au casting. À tout seigneur tout honneur, je n’en veux pas à Harrison Ford ; j’essaie juste de le comprendre. Qu’est-ce qui a bien pu le séduire dans un scénario aussi peu flatteur pour le personnage le plus célèbre de son épaisse filmographie ? Je ne veux pas verser dans la thérapie de comptoir, mais entre Han Solo dans Le Réveil de la Force, Rick Deckard dans Blade Runner 2049 et maintenant Indiana Jones, je m’interroge : pourquoi tous les réduire au même célibat amer et misanthrope ? Patrick Stewart n’a pas fait mystère de son désir de rattacher ses propres traumatismes d’enfance au personnage de Jean-Luc Picard, quitte à le dénaturer, mais j’ai du mal à imaginer pareil besoin de thérapie chez l’heureux mari de Callista Flockart. Enfin, au moins fait-il le boulot, la magie est toujours là lorsqu’il enfile le chapeau, même si elle semble sortie d’un bocal de formol.


Hélas, à l’instar du Royaume du Crâne de Cristal, personne dans ce cinquième opus ne profite de l’âge avancé du héros pour apporter un peu de vie à l’écran. Crainte et raillée dès l’annonce de sa participation, Phoebe Waller-Bridge confirme que la seule chose qu’elle sait, c’est Fleabag, partout, tout le temps. Comment Kathleen Kennedy, James Mangold et Disney ont-ils pu croire que cet humour ultra-contemporain se marierait à une série emblématique des années 80 ?


Quant à Mads Mikkelsen et Thomas Kretschmann en officiers nazis, on croirait qu’ils ont été castés par ChatGPT : où est l’audace, l’originalité, quand ont sait que Spielberg et Lucas sont allés débaucher Amrish Puri à Bollywood, ont donné la coupe de Mireille Mathieu à la gracieuse Cate Blanchett et voulaient originellement Jacques Dutronc en Belloq et Klaus Kinski en Toht ?


C’est de façon générale et répétée que Le Cadran de la Destinée donne d’ailleurs l’impression d’émaner d’un logiciel périmé, qui n’aurait intégré que certaines des données essentielles à l’ADN d’Indiana Jones : le logo Paramount qui ne se fond pas dans le film, le tracé rouge sur la carte qui n’apparaît qu’une fois Indy en Afrique, Salah qui vit à New-York alors que sa présence à Tanger aurait été bien plus logique, le colosse nazi qui périt noyé sans avoir affronté Indy comme le veut la tradition, Voller qui meurt dans un accident d’avion et non sous l’effet du fantastique par lui déchaîné, le générique sur fond noir, Toby Jones en énième ersatz de Denholm Elliott, le gamin marocain dont l’origine est peu ou prou la même que Demi-Lune, et j’en passe. Un peu comme aux Allemands avec l’envers du médaillon de Râ et le journal du Graal, ou aux Thugs avec la dernière pierre de Shankara, il semble toujours manquer quelque chose à Mangold pour arriver à intégrer le langage cinématographique si propre à la série.


Indiana Jones et le Cadran de la Destinée est un film malade, mal-né, qui n’aurait jamais dû voir le jour. Une partie de ses multiples défauts intrinsèques aurait pu être gommée si Ke-Huy Quan était revenu pour jouer un Demi-Lune adulte en lieu et place de l’irritante Waller-Bridge, et Disney a dû se mordre les doigts en le voyant glaner l’Oscar du meilleur second rôle il y a quelques mois. Mais ne nous voilons pas la face, cela n’aurait sans doute pas suffi à sauver les meubles. Une fois encore, Lucasfilm et Disney ont cru pouvoir miser sur la seule notoriété d’une illustre franchise, sans y injecter la passion et l’authenticité qui ont fait son succès il y a bien longtemps, trop longtemps pour espérer séduire un jeune public.

Ils ont choisi… bien mal.


Szalinowski
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le 2 juil. 2023

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Szalinowski

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