« Once you’re a parent, you’re the ghost of your children’s future »

Alors que Christopher Nolan est au summum du succès après avoir réalisé successivement 3 films au box-office gravitant autour du milliard de dollars, soit parmi les plus grands succès cinématographiques de son époque, il se lance dans un projet de science-fiction promettant une aventure larmoyante dans un récit qui se veut solidement ancré dans la réalité scientifique : Interstellar. La proposition m’intéressait grandement, bien que personnellement déçu par son dernier film Dark Knight Rises, je voulais croire en son grand retour dans mon estime avec cette épopée.


Le monde post-apocalyptique sur lequel s'ouvre le film illustre très justement son propos : l’ode à l’exploration de l’inconnu, à l’esprit pionnier et aux progrès techniques et scientifiques. On pourrait croire de prime abord qu'il y a dans tout ce passage un message écolo derrière ce monde où la Terre semble se révolter contre nous et nous conduire à l’extinction tant on a abusé de ses ressources naturelles inconsidérément mais le film passe complètement et délibérément à côté. Il préfère mettre en avant l’exploration spatiale comme solution au problème environnemental plutôt que de poser les questions de sa cause, presque comme si le développement durable était impossible.


Le récit pousse sa logique à l’extrême faisant que penser autrement que progrès technique et conquête de l’espace est absolument auto-destructeur, ce qui est d’autant plus paradoxal c’est que les désastres écologiques montrés sont inspirés de désastres bien réels des années 1930 dans les Grandes Plaines des États-Unis, des désastres en partie causés par un sur-labourage. Le message écologique que l’on peut donc conclure d’une telle source d’inspiration est soigneusement évité dans le récit et ça me pose tout de même problème dans le principe, surtout lorsqu’il est mêlé à un discours très nationaliste pro-américain.


Le cynisme à ce sujet atteint son apogée avec la discussion avec le papy où la responsabilité du piteux état de ce monde retombe sur l'humanité toute entière, comme quoi tout le monde voulait surconsommer, sous-entendant que du coup une partie seulement de l’humanité ça passerait finalement. Alors que face à cela, la solution viendra des États-Unis qui auront courageusement persévérer dans la recherche scientifique et la conquête spatiale là où les autres n’en ont pas eu le courage et/ou l’intelligence, un postulat très limite. Et le film confirmera cette position à plusieurs reprises, comme avec l’opinion publique incapable de comprendre ce qui est nécessaire à son bien-être et qui doit donc se reposer sur un État agissant en secret, parfaitement anti-démocratique.


Interstellar est aussi un film très sexiste avec le couple Cooper / Amelia, elle se met en danger bêtement car elle ignore ses conseils pour ne pas dire ses ordres, elle se laisse aveuglée par ses émotions et prend de mauvaises décisions alors que lui sait s’en servir pour se donner de la force, elle se tourne vers lui aussitôt qu’elle ne sait plus quoi faire, elle ne réalise pas une évidence dure à accepter alors que lui la réalise pleinement… il n’y a quasiment aucun contre-exemple dans leur relation de tout le film. Heureusement que le personnage de Murphy, intelligente et courageuse, rattrape un peu même si pour cela elle valide un discours très paternaliste, mais on est plus à ça près.


Un petit problème d’écriture, c’est également l’ajout des témoignages des personnes âgées en début de film qui font tout de suite comprendre que des humains vont nécessairement survivre plusieurs décennies après les premiers événements du film, tuant ainsi une partie de la tension dramatique du récit. C’est d’autant plus dommageable que leurs témoignages ne servent qu’à appuyer un propos qui passe déjà très bien par l’image et qui aurait pu très facilement s’en passer intégralement, ce qui aurait été plus élaboré. Là pour le coup, je ne comprends pas vraiment cette erreur vu le niveau de qualité du scénario qui reste très élevé malgré tous les reproches purement personnels que je viens de formuler.


Là, j’ai parlé de ce que je n’ai pas aimé dans l’écriture, passons maintenant à ce que j’ai adoré. La complicité entre Murphy et son père, au cœur finalement de l’intrigue, est très vite et très bien établie avec les quelques scènes où ils peuvent interagir alors que Murphy est encore enfant, et très bien jouée mais on y reviendra plus tard. La portée dramatique de certaines scènes m’a époustouflé et le travail sur la thématique du temps qui passe différemment selon les personnages est une idée brillante qui sert énormément cette dimension dramatique du récit tout en respectant la ligne directrice du film visant à respecter a minima une réalité scientifique souvent mise à l’écart dans d’autres récits avec différentes planètes.


Il y a également de réels twists très bien pensés et audacieux qui se succéderont comme Nolan aime beaucoup le faire, amenant une nouvelle portée dramatique des plus efficaces, appuyant davantage le propos central du film, valorisant toujours plus son protagoniste… c’est toujours réfléchi et cohérent en plus d’être assez peu prévisible. C’est ce qui a fait connaître et reconnaître le réalisateur et scénariste bien avant Interstellar, il confirme son talent de nouveau ici, ça n’en reste pas moins une grande réussite du film. Par contre, pour poursuivre mon avis sur l’intrigue, je vais devoir spoiler :


Le Dr Mann est un excellent personnage, simplement mais brillamment écrit. Il est très intelligent, il a réellement à cœur de sauver l’espèce humaine, mais au comble du désespoir il a renoncé à tout honneur par instinct de survie. Il pose très bien la question centrale du film : le sens de l’amour, ici qui ne s’étend que très rarement au-delà de notre cercle familial le plus proche et qui nous entrave, plus tard ce qui transcende tout et qui nous élève vers de nouveaux horizons, son seul personnage cristallise le message central du film, en ayant la vision diamétralement opposée à celle retenue à la fin du récit, c’est vraiment bien vu.


En ce qui concerne la théorie assez répandue selon laquelle la fin est un rêve, en accord avec tout le discours sur le fait que la dernière chose que verrait Cooper avant de mourir serait ses enfants comme Mann le prétendait, je la trouve peu convaincante personnellement. C’est à la fois contraire aux messages du début du film, un peu bancal sur certaines explications et en opposition à la fin qui est tout de même très étirée dans le temps et sans grande ambivalence. Ça ne m’empêche pas de trouver la fin pleinement cohérente avec le déroulement du récit et tous les liens avec des événements qui préparaient les passages les plus complexes permettent de ne pas les rendre trop capillotractés.


Le jeu de Matthew McConaughey est tout simplement bouleversant, les scènes les plus dramatiques le concernant sont subliment rendues par son espèce de rire nerveux retenu et noyé dans les larmes, c’est une très grande performance d’acteur et il porte le film tout du long en jouant également très bien d’autres registres. Pour les autres acteurs, je ne les trouve pas très remarquables, ils font bien leur travail respectif mais seuls Michael Caine et Mackenzie Foy, du haut de ses 14 ans, se démarquent, or ils ont assez peu de scènes dans l’ensemble du film, du coup mon bilan est tout de même mitigé sur le casting.


Quant à la musique, l’OST de Hans Zimmer est tout simplement un chef d’œuvre pour émouvoir au plus haut point, insuffler une dimension épique incroyable, instaurer une tension formidable… c’est pour moi l’une de ses plus belles réalisations dans sa belle et longue carrière. Elle est aussi assez unique avec la prédominance instrumentale de l’orgue, assez peu utilisé pour ce genre de film et qui confère beaucoup de puissance à tout ça. On peut également voir dans le travail audio un excellent et osé travail du silence dans l’espace rendu par moment, y compris pendant des explosions, ça n’a pas du être simple à faire accepter tant c’est inhabituel pour un blockbuster. Gravity avait placé la barre très haut l’an passé sur le même registre, Interstellar n’a pas à en rougir.


Les décors du film renvoient à une exploration spatiale assez réaliste avec beaucoup de technologies existantes et une certaine logique dans leur agencement en contraste avec des mondes marqués par de très grandes singularités visuelles plutôt bien trouvées et originales (vagues de plus de 1000 mètres de hauteur, des nuages entre l’état de gaz et de glace...). Les plans contemplatifs spatiaux faisant référence aux grands classiques du genre tels que 2001 L’odyssée de l’espace ou Solaris sont parfaitement assumées par le réalisateur qui voulait leur rendre hommage. Les effets spéciaux donnant corps à des théories scientifiques tels que les trous de ver ont fait l’objet d’un certain soin pour être assez impressionnants à l’écran, originaux par rapport à leurs autres représentations et là encore un minimum respectueux d’une vraisemblance scientifique.


Christopher Nolan parle de ses ambitions et intentions visuelles en ces mots :



Le pouvoir de l’imagerie devait prendre une grande place dans ce film, plus que dans mes films précédant, il ne fallait pas seulement que les personnages disent qu’une chose est extra-ordinaire, il fallait que le spectateur le voit.



Interstellar est une très bonne illustration de tout ce que je peux profondément aimer dans la réalisation et la narration de Christopher Nolan qui lui donne un immense potentiel limité par un propos critique certes authentique et assumé, mais en contradiction avec mes valeurs, en plus de certaines maladresses. C’est un film que j’apprécie revoir pour en prendre plein la vue et les oreilles tout en me laissant emporter par un récit cohérent et intense, mais si tôt que je me pose pour l’analyser, trop de choses m’empêchent d’en faire l’un de mes films préférés malgré ses immenses qualités.

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le 19 juin 2020

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damon8671

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