Support: Bluray


Des fables écologistes fantasy contemplatives de Hayao Miyazaki aux délires oniriques hallucinés de Satoshi Kon, en passant par les incursions virtuelles fantasmées d’un Mamoru Hosoda, l’animation japonaise a depuis longtemps montré de la richesse et de l’inventivité dont elle était capable pour continuer à surprendre le spectateur. C’est avec cette promesse d’inédit que je me suis lancé dans Inu-Oh, un premier pas dans le cinéma de Masaaki Yuasa, prêt à en prendre plein les mirettes.


Autant dire d’emblée que je n’ai pas été déçu du voyage. L’animation est folle, en perpétuelle recherche d’innovation. Les styles s’entremêlent dans un patchwork singulier que seuls quelques rares rendus 3D douteux viendront souiller. Le dessin est fluide, dynamique, et incroyablement détaillé, ne recherchant pas qu’à reproduire de belles choses, mais esthétisant sans cesse ce qu’il a a affiché, que ce soit un solo de biwa ou les dents gâtées d’une société miséreuse.


Le film ne pouvait d’ailleurs qu’aller en ce sens, son protagoniste étant aveugle et sa perception du monde étant représentée par des jeux de couleurs figurant une sorte d’écholocalisation, et de longues lignes balayant l’écran comme tant de vibrations sonores ondulantes. Une représentation des sens qui n’est pas sans rappeler celle du goût dans un certain Ratatouille, et qui rend cinégénique ce qui par défaut ne l’est pas.

Une animation sans ambages aussi nécessaire de par la galerie de personnages à l’écran, des freaks et des queers, dont l’apparence hideuse au commun des mortelles est ici sublimée par des costumes virevoltants tandis que voltige les protagonistes au-dessus des foules.


Inu-Oh raconte en effet l’histoire d’une malédiction qui rend un gamin orphelin et aveugle, et qui part en quête de réponses, avec pour seul arme son instrument. Il rencontrera en chemin une caste de moines troubadours atteints de cécité avec lesquels il apprendra le destin du clan Heike, central au récit du film. Enfin, il fera équipe avec le personnage éponyme, monstre difforme rejeté par son directeur de troupe nō de père, et l'entièreté de la populace . Ensemble, ils forment un groupe de rock anachronique et stellaire qui doit braver la jalousie de leurs pairs et la censure d’un régime traditionnel. Une censure pour cause d’anticonformisme, dangereusement divertissante et empêchant la plèbe de révérer comme il se doit le shogun Ashikaga. Une censure d’un couple en rejet des conventions et bouleversant l’ordre établi. Une censure des sujets abordés, refusant de laisser dans le passé le sort des vaincus.


Je n’ai pas la prétention d’être versé dans l’histoire japonaise, ni dans leurs mythes fondateurs et singularité culturelle, et me contenterais donc d’évoquer ce que Yuasa a à raconter dans les interviews du bluray. Le film est basé sur un roman, lui-même adapté du théâtre nō issu d’un passage oral ancestral d’une légende du folklore nippon, celle du Heike monogatari, un conflit sanglant qui donna lieu un changement de régime dans l’archipel au tournant du XIIème siècle. Le réalisateur souligne la fascination des japonais pour l’histoire des grands perdants des siècles passés, ce qui se ressent parfaitement dans le film, et ce jusqu’au final.

Le synopsis du film se déroule sur sa première demi-heure et sert avant tout d’élément contextualisant pour ce qui suit : une heure de concert endiablé. Nous ne sommes pas dans une comédie musicale, mais bien dans une version animée d’un Shine A Light fictif. L’énergie dégagée par l’imagerie déployée n’est que décuplée par les riffs énervés, les mouvements de foule et les jeux de lumière accentuant le rock cathartique du duo. La musique est l’outil qui permet de lever les malédictions, et pour peu que le spectateur soit ouvert à une proposition aussi radicale, il ne peut que se prendre au jeu.


Inu-Oh est un bol d’air frais, et place Yuasa dans cette liste perpétuellement croissante des réalisateurs dont il me tarde de découvrir le reste de l'œuvre. Une telle richesse de forme, associée à un fond dont je sais qu’il me manque certaines clés culturelles pour mieux l’assimiler, c’est toujours un grand oui pour moi.


Frakkazak
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films d'animation japonais, Les meilleurs films de 2022, Filmothèque Bluray, On regarde quoi en 2024? (Films) et Les meilleurs films sur la musique

Créée

le 15 avr. 2024

Critique lue 9 fois

1 j'aime

Frakkazak

Écrit par

Critique lue 9 fois

1

D'autres avis sur Inu-Oh

Inu-Oh
ginandroid
5

DU BIWA EN BOUCLE

Fan de film d'animation japonais, c'est avec entrain et sans attente particulière que je découvre pour la première fois un film de Masaaki Yuasa. Ce qui me frappe instantanément, ce sont les...

le 29 nov. 2022

15 j'aime

3

Inu-Oh
lhomme-grenouille
10

Il vit !

En 2010 mourrait Satoshi Kon. D’abord mangaka, Kon avait fini par s’orienter vers le long-métrage d’animation. Perfect Blue en 1997, Millenium Actress en 2001, Tokyo Godfathers en 2003, et puis...

le 7 déc. 2022

12 j'aime

4

Inu-Oh
Solarus
10

Fantastique

Inu-Oh c'est la rencontre improbable d'un Japon médiéval fantastique et du hard-rock.Le film démarre comme n'importe quel conte japonais, avec ses histoires de monstres (bakemono) et d'esprits...

le 26 nov. 2022

7 j'aime

Du même critique

Assassin's Creed: Mirage
Frakkazak
4

Mi-rage, mi-désespoir, pleine vieillesse et ennui

Alors qu’à chaque nouvelle itération de la formule qui trône comme l’une des plus rentables pour la firme française depuis déjà quinze ans (c’est même rappelé en lançant le jeu, Ubisoft se la jouant...

le 10 oct. 2023

17 j'aime

Spiritfarer
Frakkazak
8

Vague à l'âme

Il est de ces jeux qui vous prennent par la main et vous bercent. Des jeux qui vous entraînent dans un univers capitonné, où de belles couleurs chaudes vous apaisent. Spiritfarer en est. Le troisième...

le 9 sept. 2020

12 j'aime

2

Returnal
Frakkazak
9

Gen of Tomorrow

Cinquante heures pour le platiner, et c'est d'ailleurs bien la première fois que j'arrive à aller aussi loin dans un roguelite. Non pas qu'il soit facile, il est même étonnamment ardu pour un triple...

le 30 juin 2021

11 j'aime

2