Une belle relecture de l'homme invisible de "HG Wells". On réécrit l'histoire classique sous l'angle de la peur. La nouvelle peur de l'homme moderne, et la peur ancienne de la femme moderne qui désormais ose l'exprimer. La peur que l'intervention d'un homme invisible dans une société dubitative à ce concept peut engendrer, quand on en est la cible.


Je vais expliquer les deux peurs indépendamment, comme deux interprétations du film, donc à partir de maintenant il y a du spoiler sur l'intrigue.


D'abord ce qui est le plus évident, la peur de la femme dans la société #metoo actuelle.
C'est donc l'histoire d'une femme que l'on découvre avec un homme blanc dans une belle villa moderne. Celle ci profite d'avoir drogué l'homme pour s'enfuir. On apprend qu'elle était prisonnière de cet homme qui la contrôlait, la battait, et voulait lui faire des enfants contre son gré, lui annonçant que si elle partait, il la retrouverait où qu'elle soit. Ils s'étaient rencontrés dans une soirée, elle fille moyenne de la classe moyenne, lui homme fondateur d'une entreprise d'optique à succès. Désormais elle était sa chose. Bref un pervers narcissique toxique. Elle se fait secourir par sa soeur et ensuite trouve refuge chez un ami policier noir père célibataire de sa fille. Elle est traumatisée chez lui et n'ose plus sortir de peur de tomber sur cet homme. Et là au bout de quelques jours sa soeur arrive, et lui apprend que l'homme est mort, suicidé, son frère avocat blanc étant son exécuteur testamentaire et lui apprend qu'elle jouira d'un fond de 5 millions de dollars à la condition qu'elle ne fasse rien de trop lourd au pénal. On a tous les éléments du post Obama et du post Weinstein, les hommes blancs méchants, les autres les gentils. On le remarquera aussi en observant le comportement d'un chien, Zeus, qui est copain avec la femme en qui il voit une partenaire sous le même joug (il a un collier à décharge), mais aboie sur son maître. Elle se dit qu'enfin elle est sauve et qu'elle peut jouir de ce fond mérité, mais manque de bol, l'homme a simulé sa mort, et utilise une de ses inventions, un costume le rendant invisible, pour lui pourrir la vie. Il la rend folle de peur en traînant autour d'elle, puis la fait passer pour folle paranoïaque que personne ne veut croire car elle se dit attaquée par "l'homme invisible", faisant échos aux femmes violées par le passé que la police ne voulait croire, envoie des emails à sa place, et s'attaque à ceux qu'elle aime, donc sa soeur et les deux chez qui elle réside. Il se débrouille pour qu'elle soit virée des deux maisons où elle aurait pu trouver refuge, puis accusée du meurtre de sa soeur, ce qui au passage lui fait perdre les droits sur le fond de pension. Là le frère avocat revient dans la partie, lui annonce que si elle veut revenir avec son frère, tout sera redevenu comme avant. Elle ne le tolère pas, et par un retournement que je ne dévoilerais pas dans cette partie, réussit finalement à s'en sortir en ayant les deux frères qui se retrouvent mis hors d'état de nuire, morts quoi, et elle disculpée du meurtre. Happy End du point de vue #metoo.
Certains pourront y voir une allégorie de la femme face au patriarcat, qui désormais essaye de s'émanciper. Voire des "non hommes blancs" qui s'émancipent de l'homme blanc, changement de paradigme post Obama et post Metoo.
Bref, à l'image de la main invisible de Dieu selon Adam Smith, la main invisible de l'homme qui brimait en permanence les minorités en leur imposant de rester à la place qu'il leur avait assigné.


Ensuite la deuxième version, car ce film à l'image du très bon "upgrade" du même réalisateur a deux interprétations. Parce que le problème de la première version c'est justement le retournement que je n'ai pas dévoilé où la femme finit par tuer l'homme prédateur en situation de faiblesse, devant les yeux ébahis de son ami homme noir policier, scène sur laquelle se termine le film. Et là on peut se mettre à douter et se dire que beaucoup de choses tenues pour acquises comme vraies dans la première version sont en réalité juste des propos rapportés par la femme. Le fameux "he says / she says" des viols américains où avant les années 80 on n'écoutait que le he, et où depuis les années 2010 on n'écoute que le "she" Donc je raconte la deuxième version directement interprétée selon l'autre point de vue.


Donc c'est l'histoire d'un mec génial entrepreneur à succès dans l'optique. Il a beaucoup d'argent et est convoité par beaucoup de femmes qui lui gravitent autour. On sait que beaucoup de ces femmes sont des "gold digger" attirées par son argent, dans l'espoir honnête de trouver un beau parti et avoir une vie facile, ou dans l'espoir malhonnête de le faire chanter pour en tirer quelque chose. Les manières de faire chanter les hommes riches en 2020 sont nombreuses : menacer de porter plainte pour viol ou attouchement, faire un enfant dans le dos en mentant sur sa contraception, récupérer du sperme pour l'inséminer... D'où les conseils déjà anciens qui sont donnés par leurs conseils juridiques aux hommes riches aux USA : ne jamais être dans un espace clos avec une femme qui n'est pas de sa famille sans témoin (comme un ascenseur, un bureau, un couloir...), toujours fournir les préservatifs et les ramener en les éliminant de façon secrète..
Et cet homme a choisi une femme blonde incarnée par Elisabeth Moss. Il en est amoureux visiblement et il dort avec sa main sur son ventre car il souhaite avoir un enfant avec elle, d'autant plus que lui comme elle ont leur horloge biologique qui est en déclin vu leur âge. La femme est libre dans la maison et dispose même des mots de passe des systèmes de sécurité, ainsi que de la liberté d'utiliser les caméras de sécurité qui sont reliées à son téléphone à elle. En particulier elle désactive toutes les caméras, sauf celle qu'elle a réorienté et qui filme le lit, en particulier celle qui surveille la nouvelle combinaison invisible que son concubin vient d'inventer et sur laquelle son regard à elle s’attarde. Cet homme a été drogué par la femme, qui en profite pour prendre la poudre d'escampette en pleine nuit, en ne laissant pas de trace de ce qu'elle a fait avant de partir, comme par exemple prendre la combinaison, en mimant une agression ou une évasion enfin rendue possible. Elle a prémédité son coup en se procurant de la drogue et en appelant sa soeur femme forte à la rescousse. Cette soeur avec laquelle elle ne s'entend pas, sauf pour lui demander des services quand elle subit ou joue la victime et qui est alors heureuse de jouer ce rôle de sauveuse. Ou de témoin idéal ? Dans sa fuite elle déclenche une alarme de voiture, ce qui réveille l'homme, qui lui courre après et tente de l'arrêter avant qu'elle ne s'enfuie avec son butin. Voyant que sa tenue a disparue, il en fabrique un autre modèle et la met sur son présentoir.
L'homme a un frère sociopathe, jaloux de la réussite de son frère, qu'il fait travailler en tant que son conseiller juridique. La femme confie la tenue invisible à ce frère, afin qu'il aille "suicider" le frère, de manière à ce qu'elle et lui héritent de la fortune du frère génial. Elle via un fond que le frère génial prévenant et attentionné avait déjà prévu pour sa femme (un pervers narcissique ne prévoit pas ça), et lui via l'héritage classique car son frère n'a pas d'héritier. Mais le frère sociopathe est plus gourmand et décide de la duper elle aussi. Donc il maquille le suicide pour les photos, et ensuite enferme son frère vivant dans le sous sol de la maison, afin de prolonger son plaisir sadique.
Elle pendant ce temps joue la victime atteinte de choc post traumatique dans la maison d'un ami policier qui la recueille.
Le frère sociopathe décide de la faire passer pour folle avec l'aide de la tenue d'invisibilité, en faisant ce qui est décrit dans la première partie, de manière à récupérer les fonds du fond. Elle comprend très vite que le frère utilise la combinaison contre elle, mais ne peut pas clairement dire comment elle sait que cette combinaison existe.
Le frère sociopathe devient accro au jeu et ne se contente pas de tuer sa soeur pour l'interner et récupérer le fond, mais en profite pour tuer à tour de bras et jouer de façon sadique avec ceux qu'elle aime en lui faisant porter la responsabilité. Mais elle arrive finalement à le tuer. Et ensuite elle feint la victime pour aller rencontrer le frère génial libéré de son emprisonnement pour le tuer en faisant passer cela pour un suicide sous les yeux ahuris du policier noir qui comprend qu'elle a tout maquillé depuis le début et que tout n'était que simulacre.
Certains pourront interpréter cette version en y voyant les accusations de la communauté #metoo de plus en plus abracadabrantesques envers ce qui ressemble plus à un fantasme d'un homme prédateur, que d'un réel prédateur. Bref un homme virtuel, un homme invisible vu qu'il n'existe pas.

wasabi
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le 1 mars 2020

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