De tous les pouvoirs, l’invisibilité est sans doute le plus pernicieux.
Le filtre d’auto censure qu’on s’applique en temps normal fait-il le poids quand on sait qu’on ne sera vu de personne? Qui n’a pas rêvé un jour d’être une petite souris? d’épier une conversation ou deux, de découvrir ce qu’on dit de nous dans notre dos, et qui sait, de fil en aiguille, peut-être d’aller plus loin….?
C’est un pouvoir dont on mesure immédiatement les utilisations concrètes, et ce sans avoir besoin d’un Frodon en lutte avec son envie de passer l’anneau.
C’est le pouvoir qu’on rêve d’avoir mais dont on mesure les travers, et on se doute qu’on ne serait pas assez fort pour y résister longtemps, surtout si on venait à apprendre des choses désagréable.
C’est surtout un pouvoir qu’on craint quand on est face à son détenteur: y a t-il plus difficile à appréhender que ce qu’on ne peut pas voir? Serions-nous les mêmes si nous devinions qu’on peut observer nos moindres faits et gestes?


Pour sa version du mythe, Leigh Whannell a choisi une interprétation réaliste et actuelle: loin de tout ce qu’on peut avoir ingurgité en super pouvoirs ces dernières années.
Faut-il voir dans ce virage, et celui du Joker de Todd Philipps les prémices d’une nouvelle façon d’envisager les supers héros? C’est peut-être trop tôt pour se prononcer, mais les tentatives d’apporter de la nouveauté sont appréciables, et ça fait du bien de ne pas voir que des messieurs parfaits dotés de supers pouvoirs.


L’homme invisible est avant tout un homme(spoil!), et c’est là que se trouve la principale source de terreur pour Cécilia (Elisabeth Moss) qu’on découvre en train de fuir une maison au design froidement géométrique.


Elle court et se recroqueville dans une maison rassurante aux tons maronnasses et pleine de bois, comme pour souligner le retour à la nature par opposition à l’intérieur hyper propre et high tech qu’elle a déserté. Rien de glamour d’un côté comme de l’autre. Des décors décolorés, à l’image d’une héroïne mal peignée, aux yeux cernés, comme une déclaration de réalisme aux antipodes des supers productions où tout le monde est toujours mis à son avantage.
On pourrait voir dans ces décors ternes un miroir de notre héroïne toujours aux abois, en train de chercher en permanence des signes qu’on la surveille.


Si bien que si le film ne portait pas le titre prémonitoire d’Invisible man on n’aurait aucun mal à rejoindre les proches de Cécilia et à se demander si elle n’en fait pas un peu trop avec sa paranoïa. D’autant qu’Elisabeth Moss arrive toujours à insuffler à ses personnages même terrorisés, une sorte de force intérieure, de feu qui ne demande qu’à exploser. Même acculée on voit dans son regard qu’elle n’est pas résignée: et cette volonté pourrait très bien s’apparenter à de la folie. On ne serait pas étonné que son personnage se révèle complètement à côté de la plaque et qu’on nous apprenne que rien de tout cela n’est vrai.


On en vient même à se demander si le film n’aurait pas gagné en efficacité s’il avait évité deux fautes dans sa scène d’introduction: nous faire voir un laboratoire en arrière plan, et surtout nous montrer la violence de l’homme quitté quand il brise une vitre de voiture.
Sans ces deux éléments, on aurait douté de la sincérité de notre héroïne et on aurait pu laisser le bénéfice de la présomption d’innocence à celui qu’on ne voit pas.


Malgré ce léger bémol, Invisible man arrive à installer son climat malsain, à montrer des intérieurs effrayants de vide, à faire comprendre que la menace qu’on ne distingue pas est pire que celle qu’on identifie.
Surtout, il arrive à rendre compte de l’emprise qu’un être humain peut exercer sur un autre: que l’homme invisible existe ou soit une invention de Cécilia a peu d’importance, ce qui compte c’est de voir combien son conjoint a pu prendre l’ascendant sur sa vie et son esprit.
Un propos qui s’inscrit parfaitement dans notre époque, alors qu’on semble découvrir que vivre dans un pays dit civilisé n’empêche pas des relations d’emprise qu’on pensait d’un autre temps d’avoir la peau dure.
On n’attendait pas un film estampillé “frissons super héroïques” sur ce terrain là et on retiendra sans doute davantage ce message du long métrage.


Certains passages viendront quand même contenter les amateurs de sensations sur la fin du film, et une ultime pirouette conclura le tout pour que ceux qui n’ont pas été sensibles au propos général sortent de la salle avec un peu de choses à ruminer. Honnêtement ce n’est pas ce passage qui m’a le plus emballée, j’avais déjà bien assez à penser sur le pouvoir de la pression psychologique.


Un film surprenant, dont l’impact a été en partie gâché par un titre qui en dit trop (mais difficile d’attirer le public avec un titre qui serait lui-même invisible….).

iori
7
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le 4 oct. 2020

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