Un Juste parmi la Grande Muette

Je m'intéresse à l'Affaire Dreyfus depuis mes cours d'histoire, au collège. Aujourd'hui encore, il me semble inconcevable que l'Armée française, à la fin du 19ème siècle, ait pu se compromettre dans pareille ignominie. Par la suite, j'avais lu le Que-sais-je consacré à ce sujet et cela m'a permis d'approfondir mes connaissances. Je vis donc avec beaucoup d'intérêt la sortie du film de Roman Polanski, à ce sujet. Il caressait depuis longtemps l'ambition de raconter l'Affaire Dreyfus au cinéma, et c'est maintenant chose faite. Les polémiques relatives aux affaires de mœurs qui accompagnent Polanski depuis plusieurs décennies n'ont pas manqué d'être relancées, mais toutefois, aujourd'hui, en France, il me semble tout aussi important de se souvenir de Dreyfus.


J'Accuse est l'adaptation du roman historique D. de Robert Harris et ce qui fait le sel de cette histoire, c'est qu'elle suit le point de vue du personnage de Marie-Georges Picquart, chef du renseignement de l'armée française, qui va mettre à jour la supercherie concernant Dreyfus. Pourtant, on présente le personnage au début, lors de la poignante scène de dégradation de Dreyfus, comme un antisémite notoire. Et pendant tout le film, on sera confronté à la banalité de cet antisémitisme. Qui parfois est clairement et explicitement assumé, d'autres fois sous-jacent. De sorte qu'on entend des horreurs, comme cette réplique d'un militaire qui se félicite qu'autrefois, on livrait des chrétiens au lion, et que le progrès consistait dorénavant à leur livrer des juifs.


Mais au fur et à mesure de l'enquête, l'intrépide Picquart va se rendre compte de sa méprise. Jean Dujardin dresse ici un personnage érudit, courtois, séducteur, et surtout, un homme qui a soif de justice. Plus que l'affaire Dreyfus, il s'agit ici de disséquer cette organisation qu'était l'armée française à la fin du 19ème siècle. A l'apogée de la IIIème République, on surnommait cette armée la Grande Muette. Armée forte mais militaires privés de droits civiques, étant forcés de se taire. Et ce silence devient pesant lorsqu'il doit couvrir l'injustice. Et toute la substance de l'affaire Dreyfus, c'est bien entendu le bruit qu'elle occasionnera ! Tout le monde en parlait, y compris l'armée. Et là, cela révèle les Justes ! Ceux qui sont en quête de vérité.


Polanski n'a pas son pareil pour mettre en scène ces ignominies d'alcôves dans l'armée française. Dans des réunions, des têtes à têtes où l'on complote, ou l'on ment. Avec des plans assez serrés, restreignant le cadre et captant bien l'obscurité de ces pièces avec une photographie glaciale. La caméra est mobile et permet de faire vivre l'histoire. Le montage est également habile en alternant l'enquête dans le présent et les flashbacks, correspondants le plus souvent à des souvenirs de Picquart. Le recours à de nombreux acteurs de la Comédie Française permet de faire revivre cette langue de la fin du 19ème siècle avec beaucoup d'authenticité. Ils détiennent une partie non négligeable de notre patrimoine littéraire en jouant constamment les classiques du théâtre, et pour recréer une telle époque, ils s'avèrent très utiles. Sans parler de tous les fantastiques costumes, à commencer par ces sublimes uniformes.


Enfin, parlons ici d'Alfred Dreyfus, joué par un Louis Garrel tout en retenue et dignité. On ne pouvait pas faire plus bel hommage à cet homme qui n'a jamais cherché sa notoriété et qui n'était mu que par son honneur et l'amour de sa patrie. Malgré tout ce que l'armée lui a fait, il a toujours continué à aimer son pays, jusqu'à servir sous les drapeaux durant la Première Guerre mondiale. Même si à terme, son honneur a été lavé, l'injustice, elle, n'a pas complètement été réparée. C'est tout ce qui ressort de la scène finale entre Picquart et Dreyfus, où le second se plein de ne pas avoir obtenu le grade qu'il méritait. Une fin douce amère, comme d'ailleurs la narration de ce film, qui ne s'attarde pas trop sur le procès de Rennes ni sur la réhabilitation et qui brusque un peu sa conclusion.


Que reste t-il de l'Affaire Dreyfus en France de nos jours ? Je crains parfois qu'il n'en reste pas grand chose tant l'antisémitisme reste présent. Et pire encore, tant certaines personnes ne savent pas de quoi il s'agit. C'est pour cela qu'il convient de continuer à faire du bruit pour toute cause qui est juste.

Andika
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le 29 nov. 2019

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